Image principale 1
Image principale 1
© Stock-adobe.com

Le progressif renforcement du contrôle de constitutionnalité des lois

Temps de lecture  5 minutes

Par : Nicolas Braconnay - Magistrat

Le contrôle de constitutionnalité désigne le mécanisme garantissant la conformité des règles de droit aux principes définis par la Constitution.

Si le contrôle de constitutionnalité des normes réglementaires est depuis longtemps assuré par le juge administratif, il existe en France une méfiance traditionnelle vis-à-vis du contrôle par le juge de la constitutionnalité de la loi, “expression de la volonté générale”.

À cet égard, la Constitution de la Vᵉ République (1958) a innové en créant un Conseil constitutionnel chargé notamment du contrôle de constitutionnalité des lois. Cependant, l’ampleur de ce contrôle était originellement très limitée. Progressivement, le Conseil a accru ses prérogatives pour assurer un plein contrôle de la constitutionnalité des lois au moment de leur vote au Parlement (c’est le contrôle préventif “par voie d’action”), avant de se voir confier, depuis 2010, la charge de contrôler la constitutionnalité des lois en vigueur à l’occasion de leur application dans un litige (c’est le contrôle “par voie d’exception”).

L’approfondissement du contrôle de constitutionnalité préventif par voie d’action

Dans le texte initial de la Constitution, le Conseil constitutionnel était essentiellement chargé de faire respecter la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, inscrite aux articles 34 et 37. Si l’article 61 de la Constitution prévoyait la possibilité pour le président de la République, le Premier ministre et les présidents des Assemblées de déférer une loi avant sa promulgation au Conseil pour examiner sa “conformité à la Constitution”, non seulement une telle saisine était rare, mais encore le Conseil se bornait à une vérification de la régularité formelle du texte.

Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 16 juillet 1971 relative à la liberté d’association, a opéré une révolution en étendant ce contrôle de conformité au Préambule de la Constitution, aux principes qu’il contient et aux textes auxquels il se réfère (dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Dès lors, le contrôle de constitutionnalité des lois s’exerce à partir d’un ensemble de normes et de principes substantiels, appelé “bloc de constitutionnalité”, auquel le Conseil exige que la loi se conforme. Le juge du respect du formalisme constitutionnel se transforme en juge garantissant les droits fondamentaux de la Constitution.

Une seconde révolution, plus technique, survient lors de la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974, qui étend le pouvoir de saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou 60 sénateurs. Cette réforme, qui politise le contrôle de constitutionnalité des lois en permettant concrètement à l’opposition de déférer une loi votée au Parlement devant le Conseil avant sa promulgation, accroît considérablement le nombre de saisines. Il est désormais extrêmement rare qu’une loi importante ou emblématique ne fasse pas l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel.

L’introduction d’un contrôle de constitutionnalité par voie d’exception : la QPC

Quelles que soient les avancées du contrôle de constitutionnalité précédemment décrit, celui-ci se limitait au contrôle des lois avant leur promulgation. Contrairement à ce qui existe, par exemple, aux États-Unis depuis l’arrêt Marbury c/ Madison de 1803, le contrôle de la constitutionnalité d’une loi déjà promulguée à l’occasion de son application dans un litige (le contrôle “par voie d’exception”) n’était pas possible en France.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 institue cette possibilité, sous la forme de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : “Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours […], il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation” (article 61-1).

La loi organique du 10 décembre 2009 précise les modalités de la QPC. Tout justiciable peut, au cours d’une instance, saisir le juge d’une QPC. Celui-ci doit examiner immédiatement si la contestation porte bien sur une loi applicable au litige, si elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux et si cette loi n’a pas déjà été examinée par le Conseil constitutionnel. Il transmet alors la QPC au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, qui exerce un nouveau filtre et détermine si la question est bien nouvelle et sérieuse. La haute juridiction concernée transmet alors la question au Conseil constitutionnel, qui dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer sur la conformité à la Constitution de la loi déférée. En cas de déclaration d’inconstitutionnalité, la disposition législative est abrogée le jour de la décision du Conseil ou à la date qu’il prévoit.

Mise en œuvre depuis le 1er mars 2010, la QPC est un incontestable succès (environ 75 décisions rendues en moyenne par an depuis sa création). Elle a conduit à l’annulation, par le Conseil constitutionnel, de plusieurs lois emblématiques, comme celle sur la garde à vue (décision du 30 juillet 2010) ou celle relative au délit de consultation habituelle de sites internet terroristes (décision du 10 février 2017).