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© Melinda Nagy / Stock-adobe.com

Perception de la politique et vote : ce qui a changé

Temps de lecture  19 minutes

Par : Brice Teinturier - Directeur général délégué d’Ipsos

Le rapport des Français à la politique s’est considérablement dégradé au cours des trente dernières années : les gouvernements successifs ont échoué à endiguer le chômage, l’image du personnel politique s’est ternie et le clivage gauche-droite s’est atténué.

Cette nouvelle vision de la politique impacte les comportements électoraux : l’abstention ne cesse de progresser et la mobilité électorale est devenue un enjeu majeur.

L’infidélité sans culpabilité est devenue une norme de notre société. Beaucoup en font l’expérience en matière de consommation ou dans les relations amoureuses. Cela touche aussi la sphère électorale. En effet, le temps où le vote était solidement enchâssé dans une classe sociale, corrélée elle-même à une proximité partisane largement organisée autour du clivage gauche-droite, est révolu. Aujourd’hui, la volatilité électorale est devenue l’enjeu clé de toute élection, rendant l’exercice de la prédiction électorale particulièrement complexe et bien plus aléatoire que pendant les années 1970 ou même 1980.

Dans cette mobilité et, plus généralement, dans l’évolution des comportements électoraux, il convient de distinguer deux grands facteurs : le rapport à la politique elle-même, qui s’est profondément transformé, et le sens donné à l’élection.

Une transformation profonde du rapport à la politique

Une crise du résultat

Pendant des décennies, la politique a captivé les Français : dans les années 1970, plus de 70% d’entre eux déclaraient s’y intéresser, et ils avaient raison d’y accorder une place éminente. D’abord parce que la guerre a été une constante de nos sociétés et que l’art de s’y préparer ou de l’éviter fait partie de l’essence du politique. Ensuite parce que les choix opérés par le pouvoir en place avaient un impact immédiat et profond sur la société et la vie quotidienne (emploi, logement, pouvoir d’achat, accès au crédit, fiscalité). Enfin, parce que la politique mobilise des visions et des systèmes de valeurs qui déterminent le degré de liberté et d’émancipation d’une société, les droits et les devoirs en vigueur, la façon dont sont traitées les femmes et les différentes minorités, les mœurs tolérées ou non par la loi, etc. La politique gère également la sécurité publique, sans laquelle aucune société ne peut perdurer.

L’intérêt pour la politique connaît son apogée à la fin des années 1970, pour plusieurs raisons :

  • le choc pétrolier et la montée rapide du chômage commencent à angoisser profondément la société française ;
  • la situation internationale est porteuse de dangers majeurs, l’affrontement idéologique Est-Ouest risquant de mener à une guerre nucléaire ;
  • la droite est au pouvoir depuis 1958 et un désir d’alternance traverse la société française. La victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981 s’inscrit dans ce contexte : "Une autre politique est possible", ne cesse de déclarer le leader socialiste. Il instaure le thème de la "rupture avec le capitalisme", destinée à lutter efficacement contre le chômage grâce à la nationalisation du crédit et d’une partie de l’appareil productif, à la relance de la consommation et à de nouveaux droits accordés aux citoyens et aux travailleurs. Par ailleurs, le pouvoir entend aussi bâtir une société plus sociale et plus égalitaire.

Cette alternance, porteuse de tant d’espoirs, va générer la première grande désillusion et introduire une première fêlure, considérable, dans le rapport à la politique. En effet, contrairement à ce que promettaient les slogans, la vie n’a pas changé. Même si nombre de nouveaux droits ont été très vite octroyés, la population a rapidement déchanté. Le chômage explose, conduisant au tournant de la rigueur de 1983 : la France accepte définitivement l’ordre économique occidental de marché, cherche à réduire ses déficits et à améliorer la compétitivité de son appareil productif. Non seulement “l’autre politique” n’est pas parvenue à endiguer le chômage mais l’idée même d’une réponse globale – politique, sociale et économique – à la crise s’est fracassée.

Pendant les vingt années qui suivront, les Français vont vivre diverses expériences au travers d’alternances gauche-droite quasi systématiques. En 1986, la cohabitation – en mars 1986, Jacques Chirac est nommé chef du gouvernement par François Mitterrand, à la suite de la victoire de la droite aux élections législatives – et le printemps libéral forment une brève parenthèse avant la réélection – triomphale – de François Mitterrand à la présidence en 1988, avec un peu plus de 54% des suffrages. Cette phase de cohabitation débouche en 1993 sur une déroute historique du Parti socialiste (PS) aux élections législatives (17,6% des voix) et une nouvelle cohabitation. Avec Édouard Balladur au poste de Premier ministre, la droite tente à nouveau une politique plus libérale. Elle est vite tempérée deux ans plus tard, en 1995, par la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle, placée sous le sceau de la "lutte contre la fracture sociale".

Cette politique sera oubliée à son tour au bout de six mois, puis le gouvernement sera sanctionné, lors des élections législatives de 1997 suivant la dissolution de l’Assemblée nationale, par la victoire des socialistes et une nouvelle (la troisième) cohabitation. Le Premier ministre Lionel Jospin mène alors une politique social-démocrate et profite dans un premier temps d’une croissance exceptionnellement forte. À partir de 2000-2001, cependant, son bilan s’effrite et le chômage repart à la hausse. Lors de la présidentielle de 2002, Lionel Jospin est devancé au premier tour, le 21 avril, par Jean-Marie Le Pen, président du Front national (FN), qui se qualifie pour le second tour face à Jacques Chirac. Le choc est considérable dans le pays. Jacques Chirac est réélu avec plus de 82% des suffrages exprimés, mais sa victoire est en trompe-l’œil. En vingt ans, la croyance en l’efficience de la politique s’est effondrée.

La crise s’avère en effet intense ; c’est une crise de l’impuissance sur le front du chômage. Durant un quart de siècle, les alternances politiques se succèdent, entrecoupées de périodes de cohabitation, et le chômage, préoccupation numéro un des Français, ne descend quasiment jamais sous le taux de 9%. Cela atteste l’incapacité des gouvernants à mettre en œuvre des politiques susceptibles d’obtenir des résultats. Et sans résultats un pouvoir est frappé d’illégitimité. En outre, les alternances gauche-droite ayant conduit à un même échec, la persistance du chômage fait naître un doute plus radical sur la politique elle-même : celle-ci a-t-elle un impact sur la réalité ? À l’impuissance dans la lutte contre le chômage s’ajoute une inquiétude de plus en plus vive des Français concernant leur sécurité. Le bilan de Lionel Jospin étant également contesté sur ce point, ils ont le sentiment que les pouvoirs en place ont échoué dans ce domaine. Enfin, quelques mois avant le 21 avril 2002 ont eu lieu les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, qui ont mis en évidence la vulnérabilité de la première puissance mondiale face au terrorisme mais aussi, brutalement, à la mondialisation : nul n’est à l’abri dans un monde définitivement ouvert, tel est l’enseignement majeur. L’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle n’est donc pas un accident mais l’aboutissement d’un processus. Dès 1983, sur fond de désillusion à l’égard de l’alternance de 1981, le FN émerge en affirmant que tout n’a pas été tenté en matière de chômage et en préconisant la préférence nationale pour remédier aux échecs des politiques de gauche et de droite. Cependant, la révélation sourde de ces vingt années – la mondialisation des échanges – n’a jamais été théorisée par la gauche ni par la droite. Dans un pays hanté par le déclin, sa critique – radicale – n’émane donc que du FN, et elle opère.

À cette crise du résultat, qui culmine à l’aube des années 2000, s’ajoutent une crise de la représentation et une crise de l’exemplarité du personnel politique, qui affectent en profondeur le rapport à la politique.

Une crise de la représentation

La crise de la représentation dérive en partie de la crise du résultat. Dans les enquêtes “Fractures françaises” conçues et réalisées depuis 2013 par Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et Sciences Po, 75% à 83% des Français déclarent : "Le système démocratique fonctionne plutôt mal en France, j’ai l’impression que mes idées ne sont pas bien représentées.", ce qui témoigne d’une insatisfaction croissante à l’égard du système.

Ce sentiment se nourrit en partie de l’impression que la gauche et la droite se différencient de moins en moins : fort de ce constat, dès 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, repositionne la droite "à droite" et il luttera contre une telle impression pendant son quinquennat, qui débutera en 2007. Cela ne permet cependant pas de résorber la crise de la représentation, qui ne cesse de s’aggraver, ébranlant le régime démocratique lui-même. En 2014, toujours dans l’enquête “Fractures françaises”, 67% des Français affirment : "Le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système possible" ; et 24% déclarent que "d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie". Ce chiffre va augmenter continûment : 26% en avril 2015, 30% en avril 2016, 32% en novembre 2016 puis 33% en juin 2017 après la grande purge, pourtant, du personnel politique à la présidentielle et aux législatives de 2017.

La critique de la démocratie ne signifie pas du tout que les Français seraient tentés par un régime autoritaire. Il existe, certes, une forte demande d’ordre et de leadership, mais la société est aussi très individualiste et éprise de libertés. Les enquêtes démontrent avant tout que les Français s’estiment insuffisamment consultés. Le vote tous les cinq ans ne constitue pas une réponse adéquate ni suffisante à la crise de la représentation. Un nombre croissant de citoyens veulent au contraire être associés à l’élaboration de la loi tout au long de son parcours : en amont, lors de sa conception, mais aussi en aval, pour en contrôler l’application et y apporter d’éventuels amendements.

Le rejet grandissant du personnel politique

La crise du résultat et de la représentation se conjugue avec une grave crise de l’image du personnel politique. Jusqu’à la fin des années 1970, une majorité de Français estimait que les hommes et les femmes politiques du pays étaient plutôt honnêtes, non corrompus. Dans les années 1980 et surtout 1990, cette perception va peu à peu s’inverser. Cela résulte de révélations sur le financement des partis politiques, notamment de l’affaire Urba (1989), qui met au jour un système de fausses factures et de commissions versées par des entreprises à des bureaux d’étude (dont la société Urba) puis au PS, afin d’obtenir des marchés publics. Après le gaullisme au pouvoir, dont le financement avait fait l’objet de suspicions et d’affaires troubles, la gauche était donc touchée.

Les grandes lois votées à partir de 1988 sur le financement et le contrôle des partis politiques ne suffisent pas à atténuer le sentiment d’un système corrompu, d’autant que les scandales vont perdurer jusqu’à aujourd’hui, avec par exemple le colossal dépassement des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2012 et les révélations sur le rôle de l’agence de communication Bygmalion dans son financement. S’y ajoutent quelques cas – rares mais emblématiques – d’enrichissement personnel ou de fraude fiscale de la part de responsables politiques, comme le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, ministre délégué au budget en 2012-2013, ou l’affaire des emplois supposés fictifs de Penelope Fillon en pleine campagne présidentielle 2017, couplée à des costumes offerts à François Fillon lui-même pour un montant de 13 000 euros. On comprend dès lors pourquoi, selon les deux tiers des Français, "la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus" et qu’une large majorité (85% en 2014 et 2015, 89% en 2016 et 83% en 2017) considère qu’“ils agissent principalement pour leurs intérêts personnels” (d’après l’enquête "Fractures françaises"). La crise, massive, suscite une demande extrêmement forte de renouvellement. La victoire d’Emmanuel Macron en 2017 et le profond renouvellement du personnel politique aux législatives suivantes en sont la traduction.

Depuis cette date, la tendance semble être à l'amélioration même si les niveaux restent extrêmement préoccupants : en 2021, 62% des Français estiment que la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus ; ils étaient 77% en 2016. De même, 79% pensent qu'ils agissent pour leur intérêt personnel contre 93% en 2016. Un mouvement en partie lié à l'absence de nouvelles affaires ou révélations mettant en cause l'honnêteté de responsables politiques mais qu'il faut aussi corréler à une amélioration plus générale de la confiance à l'égard des élus due à l'épidémie de Covid-19 : les Français ont à cette occasion redécouvert l'intérêt d'avoir des responsables nationaux et locaux capables de prendre des décisions et de les protéger et les indicateurs de confiance ont progressé de 8 à 10 points suivant le type d'élus entre mars 2020 et 2022.

Nouveaux clivages politiques et crise partisane

Durant près de deux siècles, le clivage gauche-droite a structuré la vie politique française ; il a permis de l’organiser, de l’expliquer et de la rendre lisible. Pour les citoyens, il s’agit d’une grille utile et d’un processus d’identification fort : le fait de se sentir de gauche ou de droite génère un vote quasi mécanique en faveur des candidats se réclamant de l’un ou l’autre bord, ainsi que l’adhésion à une vision du monde et à un système de valeurs global. Les notions essentielles de la gauche sont le progrès, les droits nouveaux et l’égalité, et celles de la droite, la responsabilité, la liberté, le devoir, l’autorité et le respect de la tradition. Ces sensibilités de gauche et de droite s’incarnent dans des partis politiques.

Cependant, ces notions vont progressivement devenir de moins en moins opérantes, car à partir de 1983 les politiques mises en œuvre se rapprochent et, par la suite, chaque famille politique va emprunter certaines notions à ses opposants : des dirigeants du PS, en particulier Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement et Manuel Valls, vont chercher à réarticuler le socialisme et les questions d’autorité, mais aussi à bien prendre en compte l’individu et la responsabilité individuelle. À droite, la sensibilité aux questions sociales et au progrès plutôt qu’à la tradition marque le giscardisme et le chiraquisme au pouvoir. Ces évolutions entraînent une dilution partielle du clivage gauche-droite.

Par ailleurs, d’autres clivages émergent, percutant les familles politiques traditionnelles :

  • un clivage "ouvert-fermé" caractérisant l’attitude face à la mondialisation libérale. Dès la signature du traité de Maastricht (1992), il traverse la droite et pose la question majeure de la souveraineté nationale. En 2005, lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, il fracture la gauche. Or, il s’agit d’un clivage majeur que de fausses synthèses ou des stratégies d’évitement ne peuvent occulter. C’est pourtant ce que feront la plupart des dirigeants, accentuant la fracture entre de puissants courants d’opinion et des formations politiques amalgamant des points de vue si opposés qu’elles paraissent de plus en plus factices, au service uniquement d’écuries présidentielles ;
  • le clivage peuple-élite : il sonne comme un désaveu pour la gauche et la droite, qui ont toutes deux vocation à représenter le peuple. Mais celui-ci leur échappe. Le Front national puis La France insoumise battent la charge contre "les élites" ou "l’oligarchie (petit groupe de personnes) financière" et drainent les suffrages populaires ;
  • le clivage opposant une forme de bien-être et de mal-être, une vision optimiste et une vision pessimiste de la vie et de l’avenir. Ce clivage, apparu plus récemment, est aussi important que les deux premiers ; il a joué un rôle fondamental dans la présidentielle de 2017 et l’émergence du macronisme.

Pour toutes ces raisons, la politique change de statut : selon Ipsos (“S’engager : la démocratie à l’épreuve des passions”, mars 2017), à la veille de la présidentielle de 2017, elle inspire un sentiment positif à seulement 18% des Français : la passion à 1% d’entre eux, l’intérêt à 13% et l’espoir à 4%. Pour les 82% restants, la politique suscite surtout de la déception (40%), du dégoût (20%), de la colère (13%) ou de l’indifférence (9%).

Au cours des trente dernières années, le clivage gauche-droite est donc devenu en partie obsolète, et une crise majeure du résultat, de la représentation mais aussi des formations partisanes et de l’image du personnel politique s’est produite. Ce rapport nouveau, et considérablement dégradé, à la politique a bien sûr affecté les comportements électoraux.

Un nouveau sens donné à l’élection

La montée régulière de l’abstention

Le premier corollaire électoral du nouveau rapport à la politique est la progression lente mais régulière de l’abstention à la présidentielle, qui constitue pourtant l’élection majeure sous la Ve République. De 1965 à 1988, le taux d’abstention progresse légèrement tout en restant inférieur à 20% (sauf en 1969) : il passe de 15,2% au premier tour de la présidentielle de 1965 à 18,6% en 1988. À partir de 1995, l’abstention s’amplifie (21,6% en 1995 et 28,4% en 2002), sauf en 2007 (16,2%), puis repart à la hausse : 20,5% en 2012 et 22,2% en 2017. De fait, pourquoi voter si cela ne change rien ou pas grand-chose et si l’on se sent si mal représenté ?

La tendance est encore plus marquée pour les législatives ; l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral l’ont renforcée. Globalement inférieure à 20% au premier tour du début de la Ve République jusqu’en 1978 (sauf en 1962), l’abstention passe à 29,1% en 1981 puis oscille entre 30% et 40% de 1988 à 2007. En 2012, elle atteint presque 43%, et elle explose à 51,3% en 2017. Des élections dites “de proximité” comme les municipales présentent la même tendance : l’abstention est sous la barre des 30% jusqu’aux municipales de 1989, puis elle dépasse ce taux et augmente sans cesse pour atteindre 38,7% en 2014 et même 55,3% au premier tour de 2020 (certes sous l'effet de la pandémie de Covid-19).

L’affaiblissement de la gauche et la droite traditionnelles

Sur la longue période, l’affaiblissement des partis et des candidats de la gauche et de la droite traditionnelles est patent, à quelques exceptions près (2007 et 2012). Ainsi, au premier tour de la présidentielle de 1981, leur total représente 97,7% des suffrages exprimés. En 1995, il perd 18 points (79,4%). En avril 2002, il baisse encore de 13 points et tombe à 66% tandis que Jean-Marie Le Pen, qui renvoie dos à dos la gauche et la droite, se qualifie pour le second tour. En 2017, nouveau cap historique, il est inférieur à 50%, les deux qualifiés du second tour – Emmanuel Macron et Marine Le Pen – se positionnant explicitement en dehors du clivage gauche-droite.

La volatilité électorale

La mobilité électorale est devenue le phénomène central de toute élection. En effet, une part grandissante d’électeurs franchissent allégrement la barrière séparant la gauche de la droite. Les candidats de ces deux bords politiques drainent de moins en moins d’électeurs, et la mobilité reste l’enjeu déterminant tout au long d’une campagne électorale. Lors de la présidentielle de 2012, le panel réalisé par Ipsos pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) a ainsi montré que 51% des électeurs avaient changé au moins une fois d’avis au cours des six derniers mois de la campagne : soit ils avaient envisagé de ne plus voter alors qu’ils pensaient le faire, soit ils avaient décidé d’aller voter après avoir voulu s’abstenir, soit ils avaient changé de candidat (“Panel électoral français 2012”).

Le phénomène s’est reproduit en 2017, d’une façon parfois très violente. François Fillon, entre le 27 novembre 2016, date de sa victoire à la primaire de la droite et du centre, et la fin janvier 2017, perd ainsi 4 points dans les intentions de vote, passant de 29% à 25%. Cela s’explique principalement par ses déclarations relatives à son projet de réforme du système de santé, dont le libéralisme heurte une grande part de son propre électorat. En février, sous le coup des révélations faites par Le Canard enchaîné sur les soupçons d’emplois fictifs de son épouse, il s’effondre à 18,5% et restera jusqu’à l’élection dans cette zone de 18-20% des suffrages exprimés. À l’autre bout de l’arc électoral, Jean-Luc Mélenchon, devancé par Benoît Hamon au lendemain de la primaire socialiste, obtient au final 19,6% des suffrages exprimés, et le candidat socialiste 6,4%. Dans la construction d’une décision électorale, le poids du projet du candidat a désormais une importance accrue, sa personnalité encore plus, et la conjoncture joue un rôle majeur.

Une élection est devenue un film que des électeurs autonomes et informés suivent jusqu’à la fin, avec son lot de surprises et de rebondissements, et elle dépend de moins en moins du clivage gauche-droite.

Dans ce contexte, la victoire d’Emmanuel Macron en 2017 s’explique aisément : elle est l’aboutissement d’un processus d’épuisement progressif des partis et des clivages traditionnels ainsi que le début d’une possible recomposition en profondeur du système partisan et du rapport des Français à la politique.

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