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La Constitution de 1958, toujours d’actualité ?

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En 2024, la Constitution de la Ve République battra le record de durée d’application d’un texte constitutionnel en France, jusqu’ici détenu par les lois constitutionnelles de 1875 (65 ans).

Cette longévité résulte en grande partie des qualités intrinsèques du régime fondé en 1958. En effet, le constituant a choisi d’instituer une forme de gouvernement démocratique efficace fondé sur un exécutif bicéphale fort et la mise en place d’un régime parlementaire rationalisé. Cette longévité est aussi due aux évolutions qu’a connues la Constitution qui lui permettent de paraître encore d’actualité aujourd’hui.

Un renforcement des contre-pouvoirs

La Ve République a, par la suite, favorisé l’émergence de contre-pouvoirs à la suite d’importantes révisions de la Constitution. Celle de 1974 transforme le rôle du Conseil constitutionnel, et par ricochet celui de l’opposition. D’organe régulateur entre les pouvoirs publics, la juridiction constitutionnelle devient un organe protecteur des droits et libertés face au législateur. Saisi par 60 députés ou 60 sénateurs (généralement issus de la minorité parlementaire), le Conseil constitutionnel s’insère au cœur du processus de fabrication de la loi en disposant de la faculté d’empêcher une loi votée qui ne respecte pas la Constitution (et en particulier son préambule) d’entrer en application. Le modèle constitutionnel qui en découle ressort profondément transformé : la loi résulte désormais d’une procédure complexe où interviennent des organes politiques (le président de la République, le gouvernement, le parlement ou, en cas de référendum, le peuple), le Conseil d’État (qui rend un avis consultatif sur les projets de loi), le Secrétariat général du gouvernement chargé de mettre en forme les textes du gouvernement et la juridiction constitutionnelle. Ce jeu de rapports fonde « un nouveau régime d’énonciation concurrentielle de la volonté générale » (Dominique Rousseau, La démocratie continue, 1995, p. 22).

2008 : une révision d’ampleur à plusieurs titres

La révision constitutionnelle de 2008 a également transformé la Ve République. Par son ampleur, cette réforme s’avère sans égale (du moins sur le plan quantitatif) : 47 articles ont été amendés ou rédigés, soit près de la moitié. Des dispositions nouvelles sont entrées immédiatement en vigueur, comme la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels consécutifs (art. 6), la saisine du Conseil constitutionnel en cas d’application de l’article 16 ou l’obligation de ratification expresse des ordonnances de l’art. 38. La reconnaissance de nouveaux droits pour les assemblées parlementaires (comme la fixation, pour moitié, de l’ordre du jour – art. 48), la possibilité d’adopter des résolutions (art. 34-1) ou le contrôle des nominations présidentielles portant sur les emplois ayant une particulière « importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation » (art. 13, al. 5) et une refonte importante de la procédure législative se sont mis en place à partir du 1er mars 2009. Des mécanismes du parlementarisme rationalisé ont été profondément corrigés, comme la possibilité pour le Premier ministre de recourir au « 49.3 » sur plus d’un texte législatif par session. D’autres furent maintenus, comme la procédure du vote bloqué (art. 44, al. 3.) et la procédure accélérée (art. 45). En outre, treize dispositions constitutionnelles étaient soumises à l’adoption d’une loi (organique ou ordinaire) pour entrer en application. La plus marquante reste la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution qui introduit la désormais célèbre QPC (question prioritaire de constitutionnalité). La plus tardive est la loi organique no 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution. Même si la (ré)écriture d’un texte constitutionnel ne produit pas toujours les effets attendus (le référendum d’initiative partagé qui ressort de la loi organique que l’on vient de mentionner a peu de chance d’être un jour déclenché en raison de la complexité de la procédure), le constituant témoigne qu’il est régulièrement nécessaire d’adapter le régime aux évolutions du temps.

De nouvelles évolutions pour rester d’actualité ?

La réforme de la Constitution est encore d’actualité en cette année du soixantième anniversaire. Annoncée lors du discours présidentiel devant le parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017, la vingt-cinquième révision constitutionnelle, programmée à l’origine pour l’été 2018, vise à « moderniser les institutions, pour les rendre plus efficaces et permettre une meilleure représentation des citoyens » (Édouard ­Philippe, Intervention publique à l’Hôtel de Matignon, 4 avril 2018). Sans affecter les grands équilibres institutionnels, le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, examiné en Conseil des ministres le 9 mai 2018, prévoit de réformer la procédure législative afin de la rendre plus rapide et efficace (art. 41 à 48), de renforcer l’interdiction du cumul des mandats pour les membres du gouvernement (art. 23), de supprimer la Cour de justice de la République (art. 68-1 à 68-3) et la catégorie des membres de droit du Conseil constitutionnel, à savoir les anciens présidents de la République (suppression de l’art. 56, al. 2), d’abaisser à 40 le nombre des parlementaires nécessaire pour saisir le Conseil constitutionnel (art. 16, 54, 61, 88-6), de remplacer le Conseil économique social et environnemental par une Chambre de la participation citoyenne (nouveau Titre XI, art. 69 à 71), de modifier les conditions de prises de décision des collectivités territoriales (art. 72), d’inscrire la Corse (art. 72-5) et la protection du climat (art. 34) dans la Constitution et, enfin, de réformer les règles de nomination des magistrats du Parquet (art. 65). Ces dispositions, déposées dans un projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale le 9 mai 2018, seront accompagnées de deux projets de lois organique et ordinaire portant sur la réduction du nombre de parlementaires et l’élection des députés (introduction de la proportionnelle pour les élections législatives).

Ce projet de loi constitutionnelle ne fait pas l’unanimité. Le Sénat – qui reste un acteur essentiel pour l’adoption de la révision – apporte sa contribution aux débats par la publication d’un rapport intitulé « 40 propositions pour une révision de la Constitution utile à la France » (24 janvier 2018). Issu des réflexions conduites par un groupe de travail de sénateurs, sous la présidence de Gérard Larcher, le document vise essentiellement à réagir aux annonces de l’exécutif portant sur la réduction du nombre de parlementaires. Tout en rappelant que « la rénovation démocratique ne passe pas, par principe, par une baisse du nombre de parlementaires », le rapport admet l’opportunité d’une révision constitutionnelle à la condition de conserver, par des mesures transitoires, « l’équilibre entre les deux assemblées pour les votes conjoints pendant toute la période nécessaire à la mise en œuvre de la réduction du nombre de sénateurs et de députés » (p. 33). Il s’agit ici pour la seconde chambre de préserver l’équilibre général entre la part des députés et celle des sénateurs dans le nombre total de parlementaires (62 % de députés contre 38 % de sénateurs), de préserver l’exercice du droit d’amendement et de maintenir le bicamérisme intégral prévu par les votes conjoints avec les députés en matière d’adoption d’un projet de loi constitutionnelle, de destitution du président de la République par la Haute Cour (art. 68), du dépôt d’une proposition de loi référendaire (art. 11), de blocage d’une nomination présidentielle (art. 13).

Le projet de révision constitutionnelle n’altère cependant en rien les principes fondamentaux du régime, au sens où « La Ve République est née comme un régime parlementaire à forte domination présidentielle. Elle a vécu et vit encore ainsi » (Guy Carcassonne, « Immuable Ve République », Pouvoirs, no 126, 2008). En 2018, le constat perdure : en dépit des changements qu’elle a connus et des corrections qui lui seront apportées, la Constitution de 1958 sera encore d’actualité.

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