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Dix ans après la crise, où en est le commerce mondial ?

Temps de lecture  14 minutes

Par : Jennifer Matas - Journaliste

La crise financière de 2008 a fortement ralenti la croissance économique des pays riches et émergents, mais aussi les échanges commerciaux. Au-delà de ce facteur conjoncturel, le commerce mondial semble être entré dans une nouvelle phase de ralentissement structurel dans laquelle la régionalisation l’emporte sur une véritable mondialisation.

Le commerce dans le monde

Contrecoup de la crise financière de 2008, les échanges internationaux ont fortement reculé dès 2009. Toutefois, l’année 2017 s’est déroulée sous de meilleurs auspices, le commerce mondial de marchandises enregistrant sa plus forte hausse en six ans (+ 4,7 %). L’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit une nouvelle augmentation de 4,4 % en 2018 et, selon ses estimations, une embellie similaire pour 2019 (+ 4 %). Pourtant, les échanges n’ont jamais retrouvé leur dynamisme d’avant la crise, à savoir + 4,8 % en moyenne dans les années 1990 (OMC, « La solidité de la croissance du commerce en 2018 repose sur les choix de politique », communiqué de presse, 12 avril 2018). Un tour d’horizon de l’état du commerce mondial depuis dix ans permettra d’éclaircir ce point.

Les marchandises

Cette catégorie regroupe plusieurs types de produits qui n’ont pas tous suivi la même évolution ces dix dernières années, même s’ils ont connu un fort repli en 2009 par suite de la crise de 2008. Les exportations de produits agricoles, par exemple, ont augmenté en moyenne de 5 % par an de 2006 à 2016, d’après l’OMC (L’examen statistique du commerce mondial 2017). En revanche, les exportations de produits combustibles et miniers ont baissé en valeur, principalement en raison de la diminution de leurs prix (- 16,5 % sur la seule année 2016) et de l’appréciation du dollar américain, ce qui a permis d’acheter les mêmes quantités de marchandises avec moins d’unités monétaires. Les exportations mondiales de produits manufacturés, quant à elles, sont passées de 8 000 milliards de dollars en 2006 à près de 12 000 milliards en 2016, soit un léger recul par rapport à 2015. Et quant à la croissance observée en 2017, qui contrastait avec le 1,8 % de 2016 (OMC, Rapport annuel 2018, mai 2018, p. 6) elle « représente la moitié du niveau de 2015 et c’est un chiffre bien inférieur au taux de croissance annuel moyen de 4,7 % enregistré depuis 1980 », selon Roberto Azevêdo, directeur général de l’OMC (L’examen statistique du commerce mondial 2017, p. 5). En résumé, la crise financière a fortement ralenti les échanges de marchandises, et, même s’ils paraissent retrouver un certain dynamisme en 2017, ils sont encore loin des niveaux de croissance d’avant la crise.

 

Les services

Portés par le développement du numérique et l’accélération des technologies de l’information et de la communication (TIC), les échanges de services commerciaux ont augmenté depuis dix ans : les exportations sont ainsi passées de 2 900 milliards de dollars en 2006 à 4 800 milliards en 2016. Mais la progression du commerce mondial de services s’est considérablement réduite, comparée aux deux décennies précédant la crise de 2008. En 2015, il a même reculé de 5,5 % par rapport à 2014, et il n’a crû que de 0,1 % en 2016. L’OMC justifie ce repli essentiellement par l’appréciation du dollar, qui aurait pesé sur les échanges. Dans le détail, on constate que le recul a touché surtout les exportations de services de transport (- 9,5 % en 2015, puis - 4,7 % en 2016).

Les acteurs du commerce mondial

Sans surprise, les échanges de marchandises et de services se concentrent autour d’un noyau dur formé de dix pays qui, à eux seuls, représentent plus de la moitié du commerce mondial, les cinq premiers en réalisant la plus grande partie. En effet, les échanges (en valeur) depuis la Chine, les États-Unis, l’Allemagne, la France et le Japon représentaient en 2016 plus de 38 % du commerce global, laissant peu de place aux 159 autres pays membres de l’OMC. La Chine, en particulier, a su monter en puissance ces dernières années : elle a réussi à se hisser pour la première fois au rang de premier exportateur mondial en 2009 (voir « La Chine devient le premier exportateur mondial », Le Monde, 10 janvier 2010) et à réaliser à elle seule 14 % des exportations mondiales en 2015 (Richard Hiault, « La Chine devance nettement les États-Unis comme premier exportateur mondial », Les Échos, 25 juillet 2016).
Alors que le commerce mondial était, jusque dans les années 1990, l’apanage des pays riches, la part des économies en développement augmente de plus en plus : en 2016, elle s’élevait à 41 % pour le commerce des marchandises et à 36 % pour les services.

 

Cette progression s’explique en partie par l’essor du commerce entre économies en développement, qui représentait plus de la moitié des exportations totales de ces pays en 2015 (jusqu’à 67 % pour les produits manufacturés). Les pays du Moyen-Orient, quant à eux, se distinguent ces dernières années par les exportations de services. Depuis 2012, ils enregistrent le plus fort taux de croissance pour ces exportations, grâce en particulier au dynamisme du transport aérien, du tourisme et des services informatiques.
Les pays les moins avancés (PMA), en revanche, restent largement en marge des échanges mondiaux : ils pèsent ensemble moins de 2 %, tous secteurs confondus. Les pays africains sont particulièrement peu performants dans le domaine du commerce mondial des services, où les TIC jouent un rôle prépondérant. Ainsi, l’Afrique représentait 0,4 % des exportations mondiales de services informatiques en 2016, contre 62,6 % pour l’Europe, 23,5 % pour l’Asie et 61 % pour l'Amérique du Nord (OMC, L’examen statistique du commerce mondial 2017, p. 42). « Les contraintes d’infrastructures, le faible taux d’accès à internet et la connectivité médiocre […] ont entravé la participation des économies africaines au segment le plus dynamique du commerce des services », souligne l’OMC. Par ailleurs, la baisse des prix des produits de base en 2016 – combustibles et produits miniers en tête – a accentué l’écart entre, d’un côté, les pays riches et émergents et, de l’autre, les PMA.

Une nouvelle ère pour le commerce mondial

Bien que l’ensemble des économies semble avoir surmonté la crise financière et économique de 2008-2009, les échanges commerciaux n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant-crise. Tandis que certains pourraient voir là une tendance à la « démondialisation », l’économiste Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), considère plutôt que cela traduit l’entrée du commerce mondial dans une nouvelle phase. « Ce ralentissement est avant tout un retour à la normale après une période d’expansion qui a vu les exportations mondiales passer d’environ 18 % du produit intérieur brut mondial en 1993 à 30 % en 2008. Une telle augmentation n’a rien de naturel, et la théorie économique ne prévoit pas que les échanges commerciaux doivent croître plus rapidement que le revenu » (S. Jean, « La fin du libre-échange a-t-elle sonné ? », Le Blog du CEPII, billet du 27 février 2017).

Une plus juste corrélation à la croissance

Alors qu’avant la crise de 2008, la hausse du commerce mondial était exacerbée par celle du produit intérieur brut (PIB) mondial avec, durant les années 1990 notamment, des échanges qui augmentaient trois fois plus vite que la croissance économique, le ratio croissance du commerce/croissance du PIB paraît revenir à un certain équilibre. « Ces dernières années, le ratio de la croissance du commerce à celle du PIB a […] diminué, tombant à environ 1,1 à la suite de la crise financière. Cela contraste avec le fait que la croissance du commerce a été en moyenne 1,5 fois supérieure à celle du PIB mondial depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. [En 2016], pour la première fois depuis 2001, ce ratio est passé en dessous de 1, tombant à 0,6 » (OMC, L’examen statistique du commerce mondial 2017, p. 5).

Des facteurs structurels de ralentissement

Le ralentissement du commerce mondial puise principalement ses racines dans des facteurs structurels et non pas conjoncturels, comme la forte contraction d’après-crise de 2008 aurait pu le laisser penser. Selon S. Jean, la faiblesse de la demande mondiale n’explique en réalité qu’un tiers du ralentissement observé (« Comments on IMF’s “Global Trade : What’s behind the Slowdown ?” – or why there is more to trade slowdown than weak demand »,

Le Blog du CEPII, 18 octobre 2016). Mais alors, comment justifier les deux autres tiers ? Pour cela, il faut d’abord regarder du côté de la Chine. Ce pays a en effet servi de locomotive au commerce mondial, avec un taux d’ouverture extraordinairement élevé.
 Mais un « retour à la normale » est à l’oeuvre depuis 2007. Le taux d’ouverture chinois a en effet considérablement décliné : entre 2006 et 2017, d’après la Banque mondiale, la part des exportations dans son PIB a baissé de 36 % à 19,76 %, et celle des importations de 28,4 % à 18 %.
Un autre facteur structurel joue un rôle dans le ralentissement des échanges : l’internationalisation des processus de production, aussi appelée « allongement des chaînes de valeur internationales » ne progresse plus. Depuis 2011, le processus de fragmentation de la production internationale, qui a fortement dynamisé les échanges entre 1995 et le début des années 2000, est au point mort (voir Marcel Timmer, Bart Los, Robert Stehrer et Gaaitzen De Vries, « Production fragmentation and the global trade slowdown », VoxEU. org, 21 novembre 2016). L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avance, quant à elle, d’autres facteurs pour justifier ce ralentissement, tels que la morosité de l’investissement et la politique commerciale des États (« Arrêt cardiaque ou crise passagère. Pourquoi le commerce mondial est-il si faible, et que peut faire la politique économique pour le relancer ? », OCDE, 21 septembre 2016). Ce dernier point est d’autant plus d’actualité que la stratégie commerciale des États-Unis de Donald Trump laisse planer un doute sur un éventuel retour en force du protectionnisme.

Un commerce plus que jamais multipolaire

Aujourd’hui, loin d’être parvenu à un idéal de libre-échange dans lequel chaque pays appliquerait à tous les mêmes conditions à l’importation et à l’exportation, le commerce mondial est essentiellement un commerce régional. En 2018, selon l’OMC, 287 accords commerciaux régionaux (ACR) sont ainsi en vigueur dans le monde, soit autant de partenariats qui édictent des règles d’échanges commerciaux plus favorables au sein d’un groupe de nations qu’avec le reste du monde

La course aux méga-zones de libre-échange

Échanger davantage de marchandises et de services avec ses pays voisins qu'avec les autres États est une pratique qui a quasiment toujours existé. Mais, alors que la création de l’OMC, en 1995, devait favoriser l’émergence d’un commerce multilatéral dans lequel tous les États auraient les mêmes chances d’accéder au marché intérieur des pays membres, cet objectif est aujourd’hui loin d’être atteint. La concentration des échanges entre grandes zones de libre-échange monte en puissance depuis dix ans. Trois blocs majeurs se distinguent : le pôle américain (piloté par les États-Unis), le pôle européen (dominé par l’Allemagne) et le pôle Asie (où se concurrencent le Japon et la Chine). « La caractéristique principale qui définit la phase actuelle, c’est que nous sommes dans une économie mondiale devenue multipolaire », explique à ce sujet S. Jean (« Ralentissement du commerce mondial : une nouvelle ère de la mondialisation », Xerfi Canal TV, 14 octobre 2015).
Plusieurs zones de libre-échange avaient été créées avant la crise, dont : l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 1967, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 1975, le Marché commun du Sud (MERCOSUR, regroupant plusieurs pays d’Amérique du Sud) en 1991, l’Union européenne (instituée en 1992 par le traité de Maastricht mais dont le marché commun est établi dès 1986 par l’Acte unique européen) et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), signé en 1994 par les États-Unis, le Canada et le Mexique. Plusieurs autres accords ont vu le jour récemment ou sont en cours de discussion. Ils visent à pallier le manque d’efficacité de l’OMC, mais aussi à contrer l’émergence de poids lourds du commerce mondial, dans une logique de rapports de force entre grandes puissances. Ainsi, l’UE s’est associée avec le Canada en concluant en octobre 2016 l’Accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement – CETA) et avec le Japon par la signature, en juillet 2018, de l’Accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne (Japan-UE Free Trade Agreement – JEFTA) pour contrecarrer l’hégémonie des États-Unis. Quant à ces derniers, ils ont cherché à étendre leur zone d’influence dans le Pacifique avec l’Accord de partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership Agreement – TPP), signé en février 2016, et, plus difficilement, en Europe par le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) ou Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA), qui est en cours de négociation. À l’exception du TPP, qui devrait entrer en vigueur début 2019, ces accords sont pour l’instant au point mort car les pays concernés n’arrivent pas à s’entendre sur tous les points, ce qui prouve une nouvelle fois que la souveraineté des nations demeure omniprésente dans le commerce mondial.

 

Un retour du protectionnisme ?

Bien que le commerce mondial ait enregistré un regain en 2017, l’ombre du protectionnisme plane fortement sur lui. Le Brexit et l’élection de D. Trump à la présidence des États-Unis, en 2016, ont constitué deux éléments alarmants pour la croissance des échanges, et cela semble se confirmer. Washington a en effet annoncé, le 1er juin 2018, l’application de taxes douanières supplémentaires sur l’acier (25 %) et l’aluminium (10 %) en provenance de l’Union européenne (mais aussi du Canada et du Mexique). En représailles, l’UE a décidé de taxer à son tour 180 produits importés des États-Unis en Europe, selon une fourchette oscillant entre 10 % et 50 % (règlement d’exécution UE 2018/886 de la Commission du 20 juin 2018). Le Mexique, le Canada et la Chine, également ciblés par la politique douanière de D. Trump, entendent chacun y riposter. On peut donc redouter une escalade des mesures protectionnistes qui risque de plomber davantage les échanges multilatéraux au profit d’échanges internes à des zones d’entente régionale, si tant est que des partenariats de ce type puissent se conclure. Plus généralement, les pays du Groupe des Vingt (G20), qui sont les principaux moteurs du commerce mondial, ont pris depuis le début de la crise plus de 3 500 mesures ayant un impact négatif sur les échanges internationaux ; la plupart d’entre elles sont encore en vigueur aujourd’hui (voir Gérard Horny, « Le commerce mondial décline, mais ce n’est pas encore la démondialisation », www.slate.fr, 18 décembre 2015). Il s’agit de mesures qui influent directement sur le volume des échanges – par exemple, l’instauration de quotas ou la hausse des tarifs douaniers sur certains produits – ou de mesures plus indirectes comme la mise en place de subventions favorisant certains exportateurs au détriment d’autres.
Pour combattre ces politiques commerciales peu favorables, l’OMC a tenté d’assouplir ses règles entre 2016 et 2017 grâce à 128 nouvelles mesures destinées à faciliter les échanges en réduisant ou en supprimant les droits de douane et en simplifiant les procédures douanières notamment. Ces mesures étaient plus nombreuses que les mesures restrictives adoptées sur la même période (108).

Des normes qui freinent les échanges

La création de grandes zones de libre-échange dynamise les échanges, mais remplit aussi une fonction essentielle que l’OMC n’est pas parvenue à assurer : elle uniformise les normes sur l’importation et l’exportation des produits et services au sein de ces zones. Or, cette question s’avère cruciale à l’heure où la Chine, premier exportateur mondial, applique des normes plus laxistes que l’Europe et les États-Unis, par exemple. Il n’est alors pas étonnant que les pays qui se retrouvent lésés par des normes trop exigeantes choisissent de s’allier pour s’opposer aux exportations des pays moins regardants. L’établissement de normes mondiales permettrait d’éviter cette course à la création de grands blocs. L’OMC pourrait peut-être remplir cette fonction si elle parvenait à sortir de sa paralysie. Mais « aboutir à zéro différence de normes entre tous les pays est un processus extrêmement long et complexe, à la fois pour des raisons techniques et politiques », a rappelé Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC, lors d’une conférence au CEPII (« Quel avenir pour le commerce international ? », décembre 2016).

*Source : Article de Jennifer Matas, Panorama du commerce extérieur français, publié dans « Mondialisation et commerce » , Cahiers français, n° 407 novembre - décembre, 2018, p. 18-27.

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