Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à RMC le 20 février 2024, sur l'application de la loi EGalim et la grande distribution.

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Média : RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER, vous étiez ministre de la Transition énergétique, on avait l'habitude de vous entendre sur les questions de gaz, d'électricité, de nucléaire, désormais on va parler agriculture avec vous puisque lors du dernier remaniement vous êtes devenue ministre déléguée à l'Agriculture et à la Souveraineté alimentaire, ministre déléguée auprès de Marc FESNEAU le ministre de l'Agriculture. Tout à l'heure, fin de matinée, c'est le comité de suivi des négociations commerciales, les fameuses négociations commerciales, entre la grande distribution et l'industrie, est-ce que, au moment où on se parle, la loi EGalim, c'est-à-dire le respect du coût de production, au début de la chaîne alimentaire, du côté des agriculteurs, est-ce que cette loi a été respectée ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, la loi est respectée, jusqu'à un certain niveau, et c'est justement le travail que nous faisons avec le ministre de l'Agriculture, Marc FESNEAU, et le ministre de l'Economie, de nous assurer qu'elle est respectée jusqu'au dernier kilomètre. Il serait inacceptable que les agriculteurs soient la variable d'ajustement de négociations avec les industriels ou de négociations avec la grande distribution, et c'est tout l'enjeu de ces comités de négociations commerciales.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire quoi jusqu'à un certain niveau ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est-à-dire que nous avons déterminé, nous avons fait des contrôles, vous savez que nous avons annoncé que nous allions mener des milliers de contrôles dans les mois qui viennent, et que lorsque nous voyons qu'il y a un décalage par rapport à l'application de la loi, systématiquement nous instruisons, nous demanderons des comptes aux industriels, nous demanderons des comptes à la grande distribution, pour qu'ils remettent les choses en place, et c'est ce qu'on a fait par exemple avec LACTALIS, LACTALIS est aujourd'hui, ce qu'on appelle en médiation, c'est-à-dire que vous avez le médiateur de l'Etat qui est en train d'intervenir entre les producteurs de lait et son acheteur industriel, qu'est LACTALIS, et d'ores et déjà LACTALIS a lâché une augmentation des prix, donc on voit qu'EGalim ça marche, et ça marche quand l'Etat français…responsabilités.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire, attendez, c'est très intéressant, on sait que LACTALIS, lors de l'expression de la colère des agriculteurs, était vraiment dans leur viseur, beaucoup ont considéré, ou exprimé, que LACTALIS était extrêmement dur en affaires et qu'il n'achetait pas le litre de lait à leur prix de revient et que donc les agriculteurs se retrouvaient véritablement le couteau sous la gorge. Vous êtes en train de nous dire ce matin que vous êtes en train de faire plier LACTALIS ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je suis en train de vous dire ce matin que d'ores et déjà LACTALIS a augmenté son prix d'achat, sous la pression, notamment, de l'intervention de l'Etat, et qu'aujourd'hui nous ne sommes pas encore à une situation satisfaisante, que la négociation se poursuit, mais ce qu'on voit sur cet exemple-là c'est qu'effectivement, sur la filière lait, près de 90% des volumes de lait, qui sont produits par les agriculteurs français, sont contractualisés à un prix et que nous avons les moyens de faire bouger ce prix lorsqu'il ne respecte pas le coût de production de la filière laitière et que nous allons continuer dans ce sens.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça c'est quand les négociations ont lieu sur le sol français, on a bien compris, avec la colère des agriculteurs, qu'une partie de ces négociations, en réalité, contournait la loi EGalim en se tenant, et c'est d'ailleurs le président de la République lui-même qui l'a reconnu, il a dit " il y a un contournement de notre loi EGalim ", en allant négocier en Belgique, au Portugal ou en Pologne. Est-ce que vous avez l'assurance que LACTALIS a bien négocié les prix du lait sur le sol français ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, ce contournement ce n'est pas le fait des industriels, c'est le fait de la grande distribution, donc c'est dans leur relation entre les…

APOLLINE DE MALHERBE
Avec les centrales d'achat, de CARREFOUR, LECLERC…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Grande distribution, centrales d'achat, enfin, prétendues centrales d'achat, parce qu'en réalité c'est des centrales de négociation qui concernent des productions qui sont faites en France, qui sont livrées dans des supermarchés en France, donc effectivement là il y a un contournement.

APOLLINE DE MALHERBE
En fait c'est juste la signature du contrat qui a lieu en dehors de l'hexagone pour pouvoir continuer la loi.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, et c'est pour ça que moi, il y a quatre ans, lorsque j'étais auprès de Bercy, en charge notamment de l'Industrie, j'avais - non, même j'étais secrétaire d'Etat – j'étais…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous-même vous vous y perdez, c'est vrai que vous avez eu plusieurs casquettes quand même, on peut le dire Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà, j'avais prononcé une sanction administrative de plus de 100 millions d'euros à l'égard de Michel-Edouard, enfin des magasins LECLERC, pour ce contournement, et ce sujet-là fait l'objet aujourd'hui d'une instruction devant le juge et avance.

APOLLINE DE MALHERBE
Sauf que, pardon, en effet Bercy a condamné, vous y étiez, Bercy a condamné la centrale d'achat, EURELEC, de LECLERC notamment, qui négociait les prix en Belgique, qui contournait donc la loi, la juridiction française vous a donné raison, a en effet condamné EURELEC à payer une amende, sauf qu'entre-temps la Cour de justice européenne est revenue, et a donné raison à LECLERC contre vous, contre Bercy.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, pas tout à fait, non non… alors, mais c'est très intéressant parce que, on voit…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais allons-y, parce que c'est des sujets que les Français ont désormais l'habitude d'entendre, moi je trouve ça extrêmement important, à un moment, d'arrêter de prétendre qu'on parle de la loi EGalim, mettons les mains dans le cambouis, il y a eu cette décision, vous avez considéré qu'ils contournaient la loi, vous les avez donc fait condamner, sauf que la Cour de justice européenne a donné raison.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, alors pas du tout.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors dites-nous.

AGNES PANNIER-RUNACHER
La Cour de justice européenne a renvoyé cette affaire en France et aujourd'hui elle revient en France pour savoir si effectivement on peut la juger en France, mais, ce que ça montre bien cette affaire, c'est surtout que LECLERC, depuis quatre ans, s'emploie par tous les moyens à empêcher cette affaire d'être jugée, et donc est allé voir la Cour européenne des droits de l'homme, je pense que la Cour européenne des droits de l'homme a autre chose à faire que de juger ce type d'affaire, a saisi…

APOLLINE DE MALHERBE
Alors, je veux préciser exactement les choses pour qu'on comprenne bien, parce que…

AGNES PANNIER-RUNACHER
La Cour de justice de la Communauté européenne, et effectivement l'affaire est aujourd'hui renvoyée en France pour bien préciser si nous pouvons juger cette affaire.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais je ne vois pas pourquoi ça aurait changé, c'est-à-dire qu'en 2022 la Cour d'appel de Paris avait donc infligé une amende, à EURELEC, de 6,34 millions d'euros pour non-respect de la loi française, EURELEC, on a bien compris, c'est la centrale d'achat de LECLERC, c'était une enquête qui remontait à 2019, le ministère de l'Economie a donc attaqué la centrale de LECLERC, sauf que, voilà, la juridiction européenne a finalement tranché en faveur d'EURELEC, jugeant les juridictions françaises incompétentes sur ce dossier, et estime que, en effet, le droit du commerce belge peut être appliqué à LECLERC si LECLERC va négocier ses prix en Belgique. Pourquoi est-ce que la justice française aujourd'hui aurait le droit de juger cette affaire alors qu'hier la juridiction européenne a dit que ce n'était pas le cas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, pardon, l'affaire est aujourd'hui au niveau de la Cour de Versailles pour qu'elle puisse trancher si elle est en capacité de juger cette affaire, mais peu importe, je veux dire, le parcours judiciaire, ce que je dis c'est que nous n'avons pas la main qui tremble face aux centrales, aux grandes centrales de distribution.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous n'avez pas la main qui tremble, je l'ai bien vu, je dis juste que c'est l'Union européenne, là, qui en l'occurrence vous a donné… vous a fait trembler la main.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, non, non, ne transformons pas les choses, Apolline de MALHERBE, l'Union européenne a le dos large, on lui met sur le dos beaucoup de choses, dans ce cas-là ce n'est pas la situation.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais on ne comprend pas que vous la défendiez…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas la situation…

APOLLINE DE MALHERBE
Quand ils vous ont supprimé cette demande.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je vais jusqu'au bout si vous le permettez. Aujourd'hui l'affaire elle continue à avancer avec effectivement un acteur de la grande distribution qui ne veut pas jouer le jeu, et il faut le dire…

APOLLINE DE MALHERBE
Il ne joue pas le jeu, aujourd'hui LECLERC, pour vous, ne joue pas le jeu ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il ne joue pas le jeu, le fait de passer par une centrale belge quand d'autres passent par des centrales à Madrid ou au Luxembourg, ce n'est pas sérieux, c'est vouloir contourner la loi, et c'est pour ça que nous travaillons au niveau européen, pour justement faire en sorte que, au niveau européen, on puisse aussi traiter ces affaires.

APOLLINE DE MALHERBE
Agnès PANNIER-RUNACHER, sur les prix, est-ce que ce suivi des négociations commerciales, les prix vont-ils baisser ou non, sachant que vous vous retrouvez un peu entre le marteau et l'enclume, c'est-à-dire qu'effectivement il faut payer haut les agriculteurs et en même temps vous avez de l'autre côté une bataille pour le pouvoir d'achat ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais, vous avez des grandes, des centrales de distribution qui y arrivent, vous avez des centrales, des grands magasins, des distributeurs, qui sont capables de faire des contrats tripartites avec les industriels et les producteurs, qui garantissent un prix aux agriculteurs et qui ne sont pas connus pour pratiquer des prix élevés dans leurs grands magasins. Lorsqu'on cite le cas de LIDL par exemple, ce n'est pas un magasin de luxe LIDL, ce ne sont pas une marque de luxe, et pourtant ils ont réussi à contractualiser, donc ça veut dire que c'est possible, c'est possible à condition d'avoir de la bonne volonté, et c'est pour ça que…

APOLLINE DE MALHERBE
Et ils demandent, d'ailleurs on peut le préciser, LIDL propose, et on suivra ça cette semaine, le patron de LIDL France sera mon invité vendredi, LIDL qui propose en effet à tous les autres grands distributeurs de se mettre d'accord pour ne pas être dans une concurrence à qui vendra le lait le moins cher, au moins sur le litre de lait, que tout le monde le vende au même prix pour pas que ça tire les prix vers le bas.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement, et…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est une initiative que vous soutenez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est une initiative que je soutiens, et on doit absolument, et c'est le sens de la loi EGalim, c'est de dire qu'un agriculteur…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça ne pourra pas être considéré, éventuellement par notamment les lois européennes…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Les autorités de la concurrence.

APOLLINE DE MALHERBE
Comme une distorsion de la concurrence ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
A partir du moment où chacun applique la même démarche et qu'on est d'accord pour dire, et c'est le sens de la loi EGalim, qu'on ne peut pas vendre, qu'un agriculteur doit voir ses coûts de production couverts, que c'est la moindre des choses de ne pas vendre à perte pour un agriculteur, je pense que c'est parfaitement légitime, et c'est tout le sens aussi de dire, dans la loi d'orientation agricole, que la souveraineté alimentaire, la souveraineté agricole, c'est un enjeu fondamental de la nation et c'est ce que nous allons porter.

APOLLINE DE MALHERBE
Et on sent bien que vous êtes tous vraiment au front pour tenter d'apaiser la colère des agriculteurs, je rappelle que le salon commence dans quatre jours !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, et au plus près du terrain tous les préfets sont aujourd'hui mobilisés, reçoivent les agriculteurs, travaillent sur la simplification d'un certain nombre d'arrêtés, ça ne va pas se faire du jour au lendemain, c'est un travail en profondeur, mais aujourd'hui vous avez tous les préfets de métropole qui sont mobilisés, qui ont tous reçu les agriculteurs, et qui sont en train de simplifier la vie des agriculteurs.

APOLLINE DE MALHERBE
Première étape donc de cette semaine très agricole avec vous ce matin sur RMC, Gabriel ATTAL qui tiendra une conférence de presse spéciale agriculture demain matin et le salon qui s'ouvre donc, le Salon de l'agriculture, qui s'ouvre donc samedi. Merci à vous Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre déléguée à l'Agriculture et à la Souveraineté alimentaire, d'être venue répondre à mes questions ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 février 2024