Interview de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à France Bleu Pays d'Auvergne le 3 février 2022, sur les éleveurs français et la loi EGalim 2 et les viandes d'importation.

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Texte intégral

THOMAS LORET
Le ministre qui est l'invité de France Bleu Pays d'Auvergne ce matin. Bonjour Julien DENORMANDIE.

JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.

THOMAS LORET
Au coeur des discussions aujourd'hui, l'avenir de la profession et cette loi EGalim 2 entrée en vigueur au 1er janvier. Elle oblige les acheteurs à signer des contrats de prix sur 3 ans avec les éleveurs en intégrant leurs coûts de production. Alors certains agriculteurs sont un peu méfiants, ont-ils vraiment les moyens d'imposer leurs prix ?

JULIEN DENORMANDIE
C'est tout l'objectif. De toutes les manières, le statu quo n'est pas tenable. On le voit aujourd'hui, on a un nombre d'élevages qui ne cesse de diminuer, un nombre de cheptels qui ne cesse de diminuer tout simplement parce que les prix ne sont pas suffisamment rémunérateurs. Et donc la mère des batailles, c'est la rémunération de nos agriculteurs. Si on n'arrive pas les rémunérer correctement, alors c'est carrément la souveraineté agroalimentaire de notre pays qui est questionnée. Et donc face à ça, on a pris une nouvelle loi en effet, vous l'avez dit : cette loi Egalim 2 qui est une loi de régulation, c'est-à-dire une loi qui fixe des règles très précises pour que les industriels, la grande distribution, quand moi en tant que consommateur j'achète un produit, le prix que je paye il soit aussi redistribué à l'agriculteur. Il ne vienne pas qu'alimenter les marges des industriels et de la grande distribution. C'est cette régulation qu'on va mettre en place.

THOMAS LORET
Mais alors justement, je me permets de vous interrompre : comment garantir que ces prix seront bien respectés par les industriels et la grande distribution ? Parce que c'était déjà l'objectif de la loi EGalim première du nom et ça n'a pas forcément été très bien respecté.

JULIEN DENORMANDIE
La grande différence, c'est que la loi EGalim première du nom comme vous l'appelez, c'était une loi de confiance. C'est-à-dire que c'était une loi qui fixait un principe. Mais force est de constater que la confiance a été rompue, que quand il s'agissait en confiance de demander à la grande distribution et aux industriels de respecter les prix de production, en confiance beaucoup, beaucoup d'entre eux ne le faisaient pas. Et donc on est passé d'une loi de confiance à une loi de régulation. Ce n'est pas là de la confiance, c'est des règles qui sont fixées, et si vous ne respectez pas les règles alors vous avez des sanctions. Et d'ailleurs depuis le 1er janvier de cette année, ce n'est pas loin de 250 enquêtes que nous avons d'ores et déjà ouvertes, diligentées à l'encontre de certains qui ne respectent pas ces nouvelles règles de négociations. Donc on ne lâchera rien, notre tolérance sera absolument égale à 0 vis-à-vis de toutes celles et ceux qui ne respectent pas ces nouvelles règles de régulation.

THOMAS LORET
Julien DENORMANDIE, vous n'ignorez pas qu'on est dans un contexte de baisse de pouvoir d'achat des Français, avec ces augmentations de prix dont on parle régulièrement sur l'alimentaire notamment. Les distributeurs seraient presque tentés de tirer les prix vers le bas justement.

JULIEN DENORMANDIE
Mais vous voyez la difficulté de votre question. Evidemment qu'il y a cette question du pouvoir d'achat et c'est ça qui fait que nous devons mettre en place des politiques pour soutenir le pouvoir d'achat. D'ailleurs la première d'entre elles, c'est la politique de lutte contre le chômage. Le fait que nous soyons à un taux historiquement bas du chômage est la première des politiques en faveur du pouvoir d'achat. Mais d'un autre côté, ce serait folie de considérer que la grande distribution continuerait à toujours baisser les prix, mais cela financé par des agriculteurs eux-mêmes. Parce que la conséquence de ça, c'est quoi ? C'est que demain vous n'aurez plus d'agriculteurs et après-demain, vous n'aurez que de l'importation de produits et souvent de produits de moindre qualité. Et donc la question que vous posez du pouvoir d'achat est essentielle : il faut des politiques dédiées mais en aucun cas le pouvoir d'achat des Français ne peut être financé par le revenu des agriculteurs. Ce serait purement folie. Ce serait juste délocaliser notre agriculture, ce serait juste importer des produits de moindre qualité. Et donc moi ce que je dis, c'est que si cette grande distribution, ces industriels veulent faire des politiques commerciales, qu'elles le fassent sur leurs marges mais pas sur le revenu des agriculteurs. Moi ce qui m'importe, c'est de pérenniser notre modèle agricole dans lequel, je crois, qui est un modèle agricole absolument fabuleux.

THOMAS LORET
Alors, vous avez évoqué cette autre inquiétude des éleveurs et des agriculteurs, c'est le commercer international, avec la peur de l'importation de viandes étrangères, qui n'ont pas le même cahier des charges que les éleveurs français. Est-ce qu'on peut arriver à imposer à la viande d'importation les mêmes normes que les nôtres ?

JULIEN DENORMANDIE
Oui, il le faut et nous nous battons d'ailleurs avec la Fédération nationale bovine. Nous avons un gros combat en ce moment à Bruxelles, nous serons d'ailleurs ensemble la semaine prochaine à Bruxelles pour parler de ce sujet-là et pousser ce que nous souhaitons mettre en place. Et qu'est-ce qu'on souhaite mettre en place ? C'est ce qu'on appelle des clauses miroir, c'est-à-dire empêcher des produits de venir en Europe, si ces produits ne respectent pas nos normes de production. Un exemple très concret : figurez-vous que ça fait plus de 10 ans, en France et en Europe, qu'on a arrêté ce qu'on appelle les antibiotiques de croissance, des pratiques qui font que vous donnez quotidiennement des antibiotiques aux animaux pour éviter qu'ils ne tombent malades, pas pour les soigner, pour éviter qu'ils ne tombent malades. A la fin, vous avez des viandes pleines d'antibiotiques. Bon. Eh bien en France, en Europe, ça fait 10 ans qu'on a interdit ça. A l'extérieur de l'Europe il y a des pays qui continuent à pratiquer et qui nous envoient leurs viandes. C'est insupportable. Et donc on se bat avec force pour mettre en place ces clauses miroirs, c'est à dire stop à l'importation de viande qui est issue d'un élevage pratiquant ces antibiotiques de croissance. Voyez, c'est du très concret, on se bat. J'ai vraiment bon espoir d'y parvenir rapidement.

THOMAS LORET
Et vous aurez l'occasion d'en parler aujourd'hui avec la Fédération nationale bovine à Aurillac. Cette dernière préoccupation, Monsieur le Ministre, c'est le vieillissement des agriculteurs, dans le secteur de la race à viande, notamment qui nous concerne principalement en Auvergne, plus de la moitié des éleveurs ont plus de 50 ans, un revenu moyen de 700 € par mois, ça ne donne pas envie de se lancer dans un processus de reprise, quelle solution face à ça ?

JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, on le voit, d'abord ce sont des métiers de passion, mais la passion elle ne peut pas tout. La rémunération est la mère des batailles, vous l'avez dit dans votre question, et donc quand on se bat pour cette rémunération, c'est précisément aussi parce qu'on a bien en tête qu'il y a ce renouvellement des générations à assurer. Après, au-delà de la rémunération, il y a évidemment beaucoup d'autres choses d'accompagnement pour l'installation, de communication, de nouveaux outils comme une grande réforme qu'on est en train de porter sur l'assurance-récolte, la couverture des risques climatiques, autant de défis qui sont face à nous. Mais cette question de la rémunération c'est évidemment une des clés pour assurer la transmission, et assurer l'installation de nouveaux éleveurs. Et moi je crois vraiment profondément dans nos élevages. Vous savez, plus on se rapproche d'élections, et notamment des élections présidentielles, plus vous voyez certaines personnes caricaturer nos élevages. Dernièrement, un candidat disait qu'il y avait en France des élevages avec 8 000 bovins. 8 000 bovins. Mais c'est faux, la moyenne c'est 170 bovins. Parce qu'on a un modèle de qualité, un modèle familial, un modèle de territoire. Mais en faisant ça il dénigre nos éleveurs et il contribue à faire en sorte qu'on n'importe plus de viande. Eh bien ça, moi je me battrai toujours contre ce genre de propos, contre ce genre de personnes, et je serai là pour soutenir notre modèle agricole dans lequel je crois tant.

THOMAS LORET
Julien DENORMANDIE, ministre de l'Agriculture, merci d'avoir répondu aux questions de France Bleu Pays d'Auvergne ce matin.

JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.

THOMAS LORET
Je rappelle que vous êtes attendu au Congrès annuel de la Fédération nationale bovine aujourd'hui, c'est à Aurillac. Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 février 2022