Déclaration de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sur le bilan de la loi Égalim et la rémunération des agriculteurs, à l'Assemblée nationale le 3 mai 2021.

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Circonstance : Questions à l'Assemblée nationale sur le bilan de la loi Égalim sur la rémunération des agriculteurs

Texte intégral

M. le président.
L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan de la loi ÉGALIM sur la rémunération des agriculteurs, sollicité par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Il commencera par une table ronde, d'une durée d'une heure, en présence de personnalités invitées, auxquelles je souhaite la bienvenue. Puis, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, nous procéderons à une séance de questions-réponses d'une durée d'une heure également. La durée des questions comme des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Merci aux trois intervenants présents de se prêter à cet exercice. Chacun d'eux commencera par une intervention d'environ cinq minutes.

(...)

M. le président.
Nous en venons à la séquence de questions-réponses au ministre qui commencera par un propos liminaire de ce dernier qui pourra être relativement bref puisque le débat s'est déjà engagé avec lui plus tôt dans l'hémicycle.
La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Je vous remercie d'avoir organisé ce débat selon cette forme un peu atypique : une séance de questions, suivie d'une table ronde, puis d'un nouvel échange. Le sujet qui nous réunit est la loi ÉGALIM, et plus largement la rémunération des agriculteurs. Ce débat concerne notre souveraineté. Je l'ai déjà dit, il n'y a pas de pays fort sans agriculture forte, et il n'y a évidemment pas d'agriculture sans agriculteurs. J'aime à définir ces derniers comme des entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple. Certes, ils vivent de leur passion, mais la passion ne peut pas tout : elle ne peut pas remplacer systématiquement la rémunération. Pour relever le défi incroyablement important du renouvellement des générations, nous devons trouver les voies et moyens d'assurer leur rémunération.
Le premier constat est que les politiques publiques sont indispensables, qu'elles soient nationales, européennes ou internationales, pour réguler les rapports de forces qui régissent les négociations commerciales. Je crois pouvoir dire que notre objectif commun, quel que soit notre bord politique, consiste à trouver les moyens d'en finir avec la fameuse guerre des prix qui en résulte, à laquelle nous sommes confrontés depuis des années. En effet, elle est incompatible avec une agriculture de qualité, alors même que la qualité constitue l'ADN de notre agriculture. Qu'elle soit nutritionnelle ou environnementale – tout est lié –, la qualité de l'alimentation est au centre de tous les débats de société ; la crise de la covid-19 l'a encore davantage placée sur le devant de la scène.
La qualité ne peut augmenter dans un contexte de guerre des prix qui entraîne une incessante diminution du tarif payé au producteur. On ne peut maintenir l'injonction paradoxale de toujours multiplier les normes sans rémunérer la qualité ainsi produite. Comment agir sur cette dimension ? J'imagine que vous en avez débattu. La première réponse est relative à la création de valeur au sein des filières. Celles-ci ont un rôle indispensable à jouer. L'engouement autour des états généraux de l'alimentation a montré leur importance. Je salue l'engagement en leur faveur de Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation de l'époque.
Ensuite vient la répartition de la valeur tout au long de la chaîne, qui nous ramène à la loi ÉGALIM. Nous en avons beaucoup parlé tout à l'heure. Selon moi, trois ans après son examen, on peut en faire le bilan et affirmer qu'elle a engendré des progrès. J'en veux pour preuve qu'au sein du monde agroalimentaire, personne ne la remet en cause. Elle a amorcé un changement d'état d'esprit, en imposant la construction du prix « marche en avant » : l'industriel doit négocier avec le producteur avant de négocier avec la grande distribution. Le texte a également favorisé des plans de filière et instauré de nouveaux mécanismes, comme le seuil de revente à perte, dont on connaît les avantages, mais aussi les limites.
Néanmoins, force est de constater que cette loi n'a pas amélioré suffisamment la rémunération des agriculteurs. La question est de savoir quelle aurait été la déflation des prix agricoles si elle n'avait pas été adoptée. Il est très difficile d'y répondre. Selon l'Observatoire des négociations commerciales, depuis sa promulgation, les prix d'achat aux fournisseurs ont diminué successivement de 0,4% dans les négociations pour 2019, de 0,1% pour 2020 et de 0,3% pour 2021.
Ainsi, la loi ÉGALIM était nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Il s'agit désormais de savoir comment aller plus loin, en gardant à l'esprit qu'il y va de notre souveraineté et de notre modèle agricole, de notre agriculture des territoires. Comme nous l'avons dit précédemment, pour ne citer que l'élevage, rares sont ceux qui savent que la taille moyenne des élevages français est très inférieure à celle des élevages européens, quel que soit le type de production ; quant aux élevages internationaux, leur taille moyenne est infiniment supérieure. On voit bien que le salut de la rémunération et la pérennité de notre modèle agricole ne viendront pas de la « compétitivité-coût », comme on dit en économie, mais de la " compétitivité hors coût ", c'est-à-dire de la qualité, affichée et rémunérée.
La loi ÉGALIM a donc changé l'état d'esprit en instaurant l'indispensable marche en avant, grâce à laquelle la dynamique de négociation va dans la bonne direction, mais elle n'en a pas suffisamment modifié les règles. À mon sens, c'est la principale faille. Juridiquement, les règles qui régissent les relations économiques et commerciales ont été successivement définies par la loi du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, dite loi Galland, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite LME, et la loi ÉGALIM. La première fixait les modalités des relations commerciales, en obligeant par exemple les industriels à proposer le même prix à toute la grande distribution. Les écarts éventuels devaient trouver une justification. Il s'agissait d'éviter la fuite en avant des acteurs de la grande distribution, qui espéraient obtenir des industriels un meilleur tarif, et engageaient ainsi la guerre des prix.
La LME est revenue sur ce dispositif. Afin de préserver le pouvoir d'achat des Français, elle a imposé le rapport de forces à toute la chaîne agroalimentaire. À titre personnel, j'estime qu'il s'agissait d'une erreur. Notre agriculture, fondée sur la qualité, et ce mode de fonctionnement sont antinomiques. Il faut expliquer aux consommateurs que la qualité est nécessaire, non pour faire plaisir aux agriculteurs, mais pour la bonne alimentation de chacun. Pour le pouvoir exécutif comme pour le législateur, la politique nutritionnelle est éminemment importante, or on constate que sa place dans les débats de société a beaucoup trop diminué. J'appartiens à la génération des « cinq fruits et légumes par jour » ; pour une précédente génération, souvenez-vous, c'était le verre de lait quotidien. Comme Hippocrate l'affirmait, la nourriture est le premier médicament. Nous devons expliquer que nous croyons dans l'alimentation de qualité : la viande d'un poulet issu d'un élevage français possède des qualités nutritionnelles incomparables avec celle d'un poulet issu d'un élevage ukrainien ou brésilien – c'est évidemment vrai pour toutes les viandes.
La loi ÉGALIM n'a pas totalement corrigé les effets du basculement ainsi opéré. La LME visait une déflation des prix. La loi ÉGALIM tend à ramener la négociation en amont de la chaîne, sans abroger la LME. Il faut dire clairement qu'une relation commerciale repose avant tout sur un rapport de forces. Pour en avoir fait largement l'expérience dans mes postes précédents, dès que j'ai pris la tête du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, j'ai annoncé la couleur à tous les acteurs, de l'industrie et de la grande distribution, en disant que j'entrerais dans ce rapport de forces.
Nous avons débattu cet après-midi de la nécessité d'équilibrer le poids de ceux qui interviennent en amont, les OP notamment, avec le poids de ceux qui interviennent en aval, à savoir les industriels et la grande distribution, voire les plateformes d'achat. Il faut évidemment augmenter le poids des premiers ; mes propos sur la filière l'ont montré, je crois profondément aux organisations de producteurs. Néanmoins, l'aval restera toujours plus gros, dans le secteur agricole comme dans beaucoup d'autres secteurs économiques aux difficultés desquels nous sommes confrontés. Nous ne pouvons donc pas miser sur cette seule solution.
Pour agir sur le rapport de forces, nous devons appliquer fermement la loi. Quand j'ai pris les rênes du ministère, une de mes premières actions, menées avec mes collègues de Bercy, fut de démultiplier les contrôles, notamment menés par la DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. En effet, je reconnais avec beaucoup d'humilité que les acteurs de la grande distribution et les industriels sont beaucoup plus soucieux d'un courrier de la DGCCRF que d'un courrier signé par le ministre. En effet, la première peut prendre des sanctions et son intervention fait courir un risque d'image. Heureusement que nous avons agi ainsi : de l'avis de beaucoup d'acteurs de ces relations commerciales, nous avons injecté de la pression dans le circuit, avec des effets bénéfiques.
Cependant, si cette mesure était également nécessaire, elle n'est pas non plus suffisante. Étant donné l'historique de la LME, comment peser davantage encore dans le rapport de forces, pour faire progresser la rémunération cours de fermes ? Sur ce point, nous partageons tous le même objectif ; je salue le consensus politique en la matière.
Par ailleurs le Gouvernement a l'humilité de considérer que, s'il est à l'origine d'une première loi qui a eu des effets bénéfiques, celle-ci n'est pas allée assez loin : l'expertise en a été faite et je salue à cet égard les travaux menés par Thierry Benoit et tous les députés qui y ont participé, nous permettant de remettre l'ouvrage sur le métier. Une proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs a été déposée à cette fin par M. Grégory Besson-Moreau. Ce texte est certes technique mais il est très important.
Il s'appuie sur ce qui, aujourd'hui, marche bien. Il faut ainsi plus de contractualisation ; un maximum de contractualisation tripartite ; beaucoup plus de transparence. Il faut passer de la guerre des prix à la transparence des marges. De plus, puisqu'une relation à trois se termine rarement bien, il convient de faire en sorte que ce qui a été négocié en amont ne puisse plus être négocié en aval, ce que l'on appelle la non-négociabilité du prix des matières premières agricoles, qui revient sur une grosse partie de la loi LME. J'ajoute un dernier point, également très important : il faut, à côté de la médiation, un système de règlement des différends commerciaux. Les problèmes sont en effets nombreux et la médiation est de plus en plus plébiscitée, mais elle ne dispose pas de suffisamment d'outils. La proposition de loi, qui devrait être examinée au mois de juin, permettra d'avancer.
N'oublions pas, enfin, deux autres points extrêmement importants. Nous n'améliorerons la rémunération des agriculteurs qu'en instaurant de nouvelles règles pour les relations commerciales, en orientant le débat public sur la question de la qualité, justement rémunérée ; le rôle du consommateur est à cet égard essentiel.
Cessons de dire que les gains de pouvoir d'achat des Français se font sur le dos des agriculteurs. Cela nécessite du courage politique. C'est le discours que l'on entendait avec la loi LME : lorsque l'on réclamait une augmentation des prix, on regrettait que ce soit au détriment du pouvoir d'achat des Français. Or, il faut dissocier deux politiques différentes : l'une est sociale et concerne le pouvoir d'achat, tandis que l'autre vise la rémunération des agriculteurs.
Mon dernier point concerne le commerce international, avec, par exemple, les fameuses clauses miroirs, qu'il faut faire évoluer, pour une qualité pérenne. Les poulets ukrainien et brésilien que j'évoquais sont produits avec des normes qui ne sont ni celles de la France, ni celles de l'Union européenne : l'un des principaux objectifs de la présidence française de l'Union européenne sera d'intervenir sur cette question.


M. le président.
Nous passons aux questions-réponses. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer la question des traités de libre-échange et de leurs conséquences, je n'y reviens pas. Une telle question ne peut pourtant pas être déconnectée du climat morose qui règne dans les zones d'élevage, comme vient d'en témoigner devant nous un jeune éleveur de bovins allaitants en Saône-et-Loire. Citons des prix insuffisamment rémunérateurs, pour des productions souvent de qualité ; des campagnes agressives pour remettre en cause la consommation de viande ; des campagnes non moins agressives concernant le bien-être animal, jetant l'opprobre sur toute une profession ; des perspectives de réforme de la PAC laissant planer le doute sur une diminution des aides au secteur agricole, donnant l'impression que les bons élèves seront punis.
Or, ces bons élèves perçoivent un salaire de misère : 700 euros par mois pour des semaines de travail de plus de 60 heures. Pourtant, ce type d'agriculture permet la diversité de nos paysages, le maintien d'une biodiversité riche, avec un pourcentage élevé de prairies naturelles, des terres non labourables. Que deviendront ces zones dites défavorisées, si l'élevage est remis en cause ?
Je pense à mon département de l'Allier, où s'étend le bocage bourbonnais et ses prairies verdoyantes, où paissent les animaux, car, monsieur le ministre, on y voit, encore des bêtes dans les prés. Que deviendront ces territoires si les jeunes ne s'y installent plus, faute de perspective, ou si des jeunes installés quittent le métier ? Les décisions que vous prendrez dessineront les territoires de demain.
Votre responsabilité est grande. Les agriculteurs vous ont bien accueilli lors de votre nomination ; ils vous ont fait confiance et moi aussi. Depuis, le doute s'est à nouveau installé. Ne les décevez pas et dites-nous comment vous allez utiliser la réforme de la PAC pour répondre à cet appel urgent.

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Ma responsabilité est grande, s'agissant notamment de la politique agricole commune. Au-delà de cette question, nous devons relever le défi de l'installation et de la rémunération, qui revêt trois dimensions, en premier lieu celle relative à la loi ÉGALIM. En effet, si la PAC vise à soutenir la rémunération des agriculteurs, aucun d'entre eux ne souhaite vivre de subventions. Ils veulent vivre de la vente de leurs produits, grâce à un juste prix.
Deuxièmement, le rôle de la filière est essentiel. Je travaille avec elle et cela est parfois compliqué, mais je ne lâcherai rien sur ce point, car la création de valeur se fait au niveau d'une filière, nous le savons tous. Je précise que la filière va de l'amont à l'aval, jusqu'à la distribution : l'éleveur n'est pas le seul en jeu.
J'ai évoqué la question de la qualité dans mon précédent propos : un objectif de 40 % de viande label Rouge avait été fixé pour 2022, or nous en étions à 3% en 2017, tout comme actuellement. Je ne jette la pierre à personne, car toute la structuration de la filière est concernée, jusqu'à la distribution et au consommateur, mais il s'agit d'une question majeure.
Troisième point : la PAC.

M. le président.
Si vous le voulez bien, nous reviendrons sur ce sujet lors de prochaines questions.

M. Julien Denormandie, ministre.
Je m'y engage, monsieur Dufrègne !

M. le président.
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.

Mme Valérie Bazin-Malgras.
Notre agriculture est l'une des meilleures au monde, sinon la meilleure. Nos agriculteurs sont engagés et investis au quotidien pour nourrir les Français, mais leur travail ne paie pas et leur précarité est connue de tous. Le salaire moyen des agriculteurs est trop bas : un tiers d'entre eux gagnent moins de 350 euros par mois, 22 % vivent sous le seuil de pauvreté et ils sont 26 000 à percevoir le RSA. Les faillites et les suicides d'agriculteurs se multiplient, vous le savez.
C'est suite à ce constat dramatique que la loi ÉGALIM avait l'ambition d'assurer de meilleurs revenus aux agriculteurs. Plus de deux ans plus tard, la situation n'a que trop peu évolué : le Gouvernement ne veille pas assez à la bonne application de ce texte, et les sanctions et les contrôles restent insuffisants. Cependant, les marges de progression sont par ailleurs nombreuses. Or, la juste rémunération, tant espérée par nos agriculteurs, et l'équilibre financier de leur exploitation, vont être fortement impactés.
Je souhaite vous alerter, monsieur le ministre, sur l'incompréhension et la colère des agriculteurs de mon département de l'Aube, que j'ai rencontrés une nouvelle fois vendredi dernier. Leurs charges augmentent voire explosent – c'est le cas, par exemple, de la taxe sur les engrais azotés. Les aides qu'ils perçoivent diminuent : la réforme de la PAC devrait exclure 22% des exploitations, surtout dans le Barrois ou dans le pays d'Othe. Comme vous le savez, ces zones défavorisées ne sont pas classées en zone intermédiaire, alors qu'elles le mériteraient, eu égard aux conditions pédoclimatiques. De plus, leurs surfaces agricoles exploitables diminuent : en cause, les ZNT – zones de non traitement –, les zones tampons et les jachères.
Vous comprendrez aisément, monsieur le ministre, que nos agriculteurs sont très inquiets pour l'avenir. Comment comptez-vous répondre à ces inquiétudes et résoudre ces problèmes ?

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Il faudrait commencer, madame la députée, par arrêter de dire des choses fausses : il n'y a pas de taxes sur les engrais azotés, je ne sais pas comment le dire plus clairement !

Mme Valérie Bazin-Malgras.
Tant mieux !

M. Julien Denormandie, ministre.
La première des choses que nous devons à nos agriculteurs, c'est d'arrêter de raconter des carabistouilles. Les parlementaires ont voté la mise en ?uvre des engagements de tous les pays de l'Union européenne, je dis bien tous – il n'y a même pas de surtransposition –, en faisant le choix de la confiance : la loi dispose que, dès lors que le monde agricole suit les engagements européens, il ne peut y avoir de taxes. Cette petite musique qui consiste à accréditer l'idée d'une taxe sur les engrais azotés est fausse.
Deuxièmement, parce qu'il est trop facile de nous renvoyer la balle, cherchez, parmi toutes les augmentations de standards et les surtranspositions, combien sont d'origine gouvernementale et combien sont le fait du pouvoir législatif. Franchement, croyez-vous qu'un ministre, comme moi, qui s'est battu comme il s'est battu sur la betterave, est un fan de la surtransposition ?

Mme Valérie Bazin-Malgras.
Nous aussi, nous nous sommes battus sur la betterave !

M. Julien Denormandie, ministre.
Oui, je sais bien, mais pensez-vous sincèrement que je suis un fan de la surtransposition ? Pour accélérer les transitions, notre combat principal doit se situer au niveau européen, pour faire en sorte que toutes les transitions imposées, le soient également à cette échelle.

Mme Valérie Bazin-Malgras.
D'accord, d'accord.

M. Julien Denormandie, ministre.
Cette question n'a pas émergé il y a trois ans, puisqu'elle existe depuis vingt ans que l'on cherche à imposer toutes ces transitions aux agriculteurs, sans jamais se poser la question de savoir ce qu'il adviendra, au final, de leur compte de résultat.

Mme Valérie Bazin-Malgras.
Eh bien, pas grand-chose…

M. Julien Denormandie, ministre.
Je me bats tous les jours, sans exception, depuis un an, sur ces questions : ce ne sont pas que des mots, j'en ai fait la démonstration. De grâce, arrêtons de véhiculer des fausses informations, qui finissent par démoraliser tout le monde !

M. le président.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune.
Merci de votre propos introductif, monsieur le ministre. J'entends que la loi ÉGALIM ne fonctionne pas : l'éleveur de charolaises qui était assis à votre place il y a un instant a évoqué à cet égard une " grosse désillusion ". Nous étions d'accord sur l'objectif de cette loi, louable, visant à garantir un revenu aux agriculteurs. Vous avez raison de souligner que ceux-ci veulent vivre de leur travail et non pas de subventions, même européennes.
Cette loi constituait une urgence vitale : je me souviens que son étude d'impact mentionnait que 50% des agriculteurs touchaient moins de 350 euros par mois, en 2016. L'urgence est toujours la même, trois ans plus tard : le compte n'y est pas.
Nous vous avions alerté, à l'époque, sur la loi ÉGALIM : le problème, toujours d'actualité, était celui du manque de régulation. Un premier bilan, établi en 2019, démontrait que la loi n'avait eu un impact que sur un cinquième des ressources des agriculteurs, sans tenir compte de l'évolution des charges. En la matière, les agriculteurs doivent actuellement faire face à de la spéculation, notamment sur l'alimentation du bétail.
Le rapport qui vous a été remis le 25 mars dernier confirme que les gagnants sont toujours les mêmes. La loi ÉGALIM n'a donc pas rééquilibré les relations entre les agriculteurs et les autres acteurs de la filière. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à tirer les conséquences de ce semi-échec, ou de cet échec ? Malheureusement, un état d'esprit ne fait pas vivre et ne remplit pas les frigos.
Êtes-vous prêt à réguler ? C'est en effet de régulation que le monde agricole a besoin : d'une régulation interne, mais aussi européenne. Les intervenants précédents nous ont ainsi indiqué que ce qui est interdit chez nous, en Europe, ne l'est pas ailleurs, et que nous importons ce qui est interdit chez nous.

M. Jean-Paul Dufrègne.
Très bien !

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Je suis extrêmement favorable à une régulation au niveau européen, qui est essentielle : l'on ne peut prendre toujours plus de décisions au niveau national alors que nous sommes dans un marché commun ; tous ces sujets relèvent du niveau européen. C'est, parmi d'autres, la mère des batailles. Il faut cependant avoir à l'esprit que ces questions relèvent surtout du niveau international, les réglementations de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, étant en cause : les fameuses clauses miroirs.
Il y a eu des avancées et nous espérons en obtenir une nouvelle dans les tout prochains mois s'agissant des antibiotiques utilisés dans la filière viande. Nous nous battons ardemment dans ce domaine, mais il nous faut aller plus loin et nous attaquer à la question des clauses miroirs, laquelle n'est d'ailleurs pas réellement liée aux accords de libre-échange. Ce n'est pas une question de droits de douane, qu'ils s'élèvent à 0,5 ou 15%, même s'ils accentuent les difficultés : le véritable problème est que nos standards européens particulièrement ambitieux ne sont pas partagés par tous. Or loin des yeux, loin des consciences, même si ce précepte constitue en l'espèce une aberration et que cela nuit à ce que nous défendons.
Cela étant, je ne prône pas l'autarcie, mais souhaite faire valoir ces standards au niveau international. J'en ai fait une priorité de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et nous réalisons aussi des avancées en la matière dans le cadre de la politique agricole commune – je pourrais y revenir. En définitive, oui, il nous faut nous engager à fond dans ce domaine.
Quant au deuxième niveau de régulation, tout dépend de ce que l'on entend par " régulation " – nous en avons amplement discuté cet après-midi. La grande question qui est posée et que j'ai traitée avec beaucoup de bienveillance est la suivante : est-il possible de fixer les prix par la loi ? Votre réaction parle pour vous, madame la députée : vous êtes sceptique. Je partage votre sentiment. Mais si la fixation des prix par la loi pose des problèmes juridiques et économiques, la question de la rémunération des agriculteurs à hauteur du coût de production reste entière.

M. le président.
Merci, monsieur le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Un travail est en cours sur cette question et la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau, qui sera examinée en juin, devra la résoudre.

M. le président.
La parole est à M. Luc Lamirault.

M. Luc Lamirault.
N'étant député que depuis peu, je n'ai pas eu le temps de rencontrer beaucoup d'agriculteurs ou d'acteurs du secteur, mais j'ai tout de même recueilli le sentiment de certains, issus notamment de la filière laitière. Il semble que cette dernière, contrairement à la filière viande, voie la loi ÉGALIM comme une évolution positive, même si ce qu'elle contient est incomplet ou inachevé. À cet égard, une véritable réflexion relative aux exportations devrait être menée. Les industriels avec lesquels je me suis entretenu m'ont indiqué jouer le jeu : s'ils rémunèrent aux coûts de production ce qu'ils vendent en France, ils achètent ce qu'ils exportent à des prix très bas au prix spot. La rémunération des producteurs demeure donc relativement basse et doit être améliorée.
Par ailleurs, je souhaitais vous interpeller sur les outils de contrôle et d'évaluation. Je n'étais pas présent lors de l'examen du projet de loi ÉGALIM, mais j'ai lu le rapport Papin, qui préconise un système de partage d'informations par l'intermédiaire d'un tiers de confiance. Est-ce un dispositif que vous envisagez d'appliquer ? De plus, les contrôles de la DGCCRF, que vous avez vous-même évoqués, ont-ils apporté des éléments utiles à votre réflexion en vue de la généralisation de contrats tripartites ?

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
S'agissant d'abord du marché international, votre question démontre toute la complexité de la chose. De nombreuses filières vendent aussi à l'international, faisant de la France une puissance agricole exportatrice, ce qui est très important. Qu'il s'agisse de la viande, de la grande culture ou encore du lait, certaines filières exportent massivement leurs produits, en témoignent nos travaux relatifs aux broutards, dont une grande partie sont exportés.
Or la grande difficulté c'est qu'au niveau international la régulation des prix ne s'effectue pas selon la loi française. Cela nous renvoie à la question de Mme Pires Beaune et à l'importance d'agir au niveau européen. Et, dans le cas, par exemple, de la poudre de lait, qui est un marché mondial, la question est encore plus complexe.
Il y a un grave problème quand les exportations sont utilisées pour justifier des comportements inacceptables. Nous le savons, certains usent de cet argument pour ne pas payer « cour de ferme », en rémunérant les producteurs en dessous des coûts de production.
Cela nous renvoie à la seconde partie de votre question, relative à la transparence. Pour être très simple, nous avons constaté, avec M. Serge Papin, que les contrats tripartites pluriannuels fonctionnent bien – de nombreux exemples en attestent. Ils permettent une meilleure répartition de la valeur. Nous avons donc conclu à la nécessité de les généraliser sans attendre que la proposition de loi de M. Besson-Moreau ne soit votée, en recourant à des tiers de confiance, c'est-à-dire à des auditeurs agréés. C'est une pratique courante des relations commerciales : ils attestent des marges des uns et des autres afin de mieux répartir la valeur entre les acteurs. De cette manière, nous pourrons sortir du jeu de dupes qui consiste, pour les industriels, à renvoyer la faute sur la grande distribution, et vice-versa.
Si la proposition de loi de M. Besson-Moreau est adoptée, nous n'aurons même plus besoin des tiers de confiance car, par défaut, la transparence sera prévue par la contractualisation.

M. le président.
Merci, monsieur le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Contractualisation, transparence, pluriannualité et non-négociabilité des prix, voilà quels doivent être les maître mots.

M. le président.
La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit.
Monsieur le ministre, vous avez dit que le commerce était un rapport de forces. Oui et non, vous répondrai-je. Normalement, commercer c'est communiquer. Si, en 2021, il s'agit d'un rapport de forces, c'est parce que depuis un demi-siècle nous avons laissé un empire se créer : celui de la grande distribution et des centrales d'achats. Ainsi, désormais, le commerce parle de tout sauf du produit à négocier. Que demandent ces acteurs ? Des remises, des ristournes, des rabais, des plans d'affaires, des services internationaux et des pénalités de toutes sortes, notamment logistiques. Tout cela vise à dévaloriser les denrées alimentaires, à tel point que nous en arrivons à des aberrations, comme quand une grande enseigne propose vingt et un repas pour 21 euros. Si ce type de campagne ne détruit pas de la valeur et n'engage pas les consommateurs à considérer que les denrées alimentaires et l'alimentation ne valent rien, c'est à n'y rien comprendre !
Vous avez donc raison lorsque vous dites que le consommateur doit payer le prix juste et responsable et qu'il ne revient pas aux agriculteurs de financer le pouvoir d'achat en France, comme la loi LME l'a prévu il y a une quinzaine d'années – loi LME que je m'étais d'ailleurs bien gardé de voter et qui, de fait, a exacerbé la guerre des prix et n'a cessé de détruire de la valeur.
Cela étant dit, sommes-nous prêts, par exemple dans la proposition de loi que nous examinerons en juin, à interdire toute publicité visant à dévaloriser les denrées alimentaires ? Et sommes-nous prêts, dans le cadre de ce rapport de forces, à instaurer davantage de transparence dans la formation des marges ?
En effet, les 600 millions d'euros – voilà de la valeur – générés par le relèvement du seuil de revente à perte auraient dû être équitablement répartis entre les distributeurs, les industriels et, surtout, les agriculteurs : la somme aurait dû remonter vers l'amont de la filière. Il nous manque donc sans doute un outil ou un dispositif de transparence dans la formation des marges. Nous avons pourtant tout inventé depuis cinquante ans : l'Autorité de la concurrence, la DGCCRF, la Commission d'examen des pratiques commerciales, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, et la médiation. Nous avons tout inventé en France !

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
En ce qui concerne le rapport de forces, nous sommes confrontés à un gros problème, qui ne concerne pas que la grande distribution, à laquelle vous faites référence, mais aussi les industriels. Si demain, pour un produit donné, on demandait à la grande distribution d'augmenter son prix de 5 centimes d'euro pour mieux rémunérer les agriculteurs, cela résoudrait le problème. Toutefois, réaliser ce mouvement de masse dans notre pays est impossible, car il s'agirait d'une entente. Heureusement, les ententes sont interdites, car elles s'effectuent sur le dos des consommateurs, ce que personne ne peut souhaiter.
Il n'en demeure pas moins que le rapport de forces est tel qu'au-delà de sa marge, chacun essaie de défendre sa part de marché. Pour cela, les acteurs cherchent à obtenir les meilleurs prix, in fine au détriment des agriculteurs, afin de constituer des produits d'appel. Tout le sens de la proposition de loi à venir, et c'était également le sens de la loi Galland sur laquelle la loi LME est revenue, est d'empêcher que ne s'applique ce qu'on appelle en économie la théorie des jeux. Au nom de cette théorie, un acteur suppute qu'un concurrent peut acheter moins cher un produit et décide donc de tirer le prix vers le bas.
Voilà ce qu'il nous faut empêcher. Et comme, fort heureusement, nous sommes dans une économie où les ententes sont interdites, il nous faut trouver un moyen qui ne soit pas la fixation des prix pour mettre un terme à ce jeu de dupes. Vous constaterez donc la complexité de l'entreprise à laquelle nous sommes confrontés. Je dis bien « nous », car c'est collectivement que nous trouverons la solution, qui ne sera pas miracle – vous l'avez très bien dit, monsieur le député –, mais qui est indispensable.
S'agissant de la transparence, deuxième point que vous avez évoqué, je suis entièrement d'accord avec vous.
Quant aux promotions, la proposition de loi y consacrera tout un article. Parmi les trois types de promotion qui existent, l'un d'eux pose selon moi problème : il s'agit des promotions à très bas coût au titre des « dégagements », lesquelles ruinent la perception de la qualité des produits.

M. Thierry Benoit.
Très bien !

M. Julien Denormandie, ministre.
J'estime que les dégagements doivent être désormais interdits sans l'aval de la filière concernée, ce qui constituerait, me semble-t-il, une avancée très importante.

M. le président.
La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson.
J'aurai deux questions.
Au stade des négociations entre producteurs et acheteurs, la loi ÉGALIM prévoit que la prise en compte du coût de production est au libre choix des parties. Estimez-vous que cette prise en compte devrait être rendue obligatoire ? De plus, le Gouvernement est-il favorable à l'introduction d'une clause de révision des prix obligatoire dans les contrats entre fournisseurs et distributeurs qui tienne compte de l'ensemble des coûts de production ou, du moins, d'une clause qui s'activerait en cas de choc conjoncturel sur les matières premières ?
Quant à ma deuxième question, elle vous étonnera peut-être. Le e-commerce n'est-il pas un moyen de contourner la grande distribution et de mieux valoriser les prix du producteur ?

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Il y a en réalité trois questions : la première sur le coût de production, la deuxième sur l'indexation et la troisième sur le e-commerce.
En ce qui concerne le coût de production, la loi ÉGALIM rend déjà obligatoire sa prise en compte, tout en prévoyant qu'un contrat puisse justifier de ne pas le faire.

M. Charles de Courson.
C'est contradictoire !

M. Julien Denormandie, ministre.
Il existe donc deux possibilités. La première revient à dire que le coût de production, fixé par l'interprofession ou un autre acteur, devient le prix de base, ce qui signifierait que la loi instaure des prix minimums. Cette option renvoie à d'autres considérations, car une économie administrée par des prix minimums emporte beaucoup de conséquences. Nous avons connu ce fonctionnement par le passé, y compris dans le monde agricole, lequel a abouti à des cas très problématiques. Est-ce donc la voie que nous souhaitons emprunter ? Ou bien, deuxième possibilité, préférons-nous dire que le coût de production doit être la référence – quitte à renforcer les clauses lorsqu'il n'est pas pris en compte – et, surtout, que celui-ci ainsi que le prix des matière première agricole sont figés dès lors qu'ils ont été négociés entre les producteurs et les industriels ? En effet, aujourd'hui, la grande distribution renégocie en sous-main le prix de matière première agricole, ce qui ne doit plus être possible.
Voilà les deux chemins qui s'offrent à nous et dont nous débattrons en juin. Je le répète, les deux options emportent de lourdes conséquences juridiques et économiques. Ma volonté est d'aller le plus loin possible, pourvu que le dispositif soit applicable.
S'agissant de l'indexation – j'utilise ce terme délibérément –, la réponse est oui : j'estime que c'est la voie à suivre.
Pourrions-nous nous appuyer sur le e-commerce ? En toute objectivité, je n'en suis pas sûr. Premièrement, la rémunération des producteurs ne dépend pas que de la grande distribution, mais aussi des industriels. Deuxièmement, c'est justement ce ménage à trois qui constitue l'une des sources principales du problème. Troisièmement, ce n'est pas le e-commerce qui mettra un terme à ce jeu de dupes et au rapport de forces entre les acteurs. Et quatrièmement, je rappelle que le e-commerce est déficitaire dans la vente de nombreux produits et cela ne m'étonnerait que certains acteurs de ce secteur tirent encore plus les marges vers le bas s'agissant des produits alimentaires. Je suis donc agnostique sur ce point, mais plutôt très méfiant.

M. le président.
La parole est à Mme Stella Dupont.

Mme Stella Dupont.
Mon intervention portera sur trois points. Le premier concerne la proposition de loi que Grégory Besson-Moreau a déposée et sur laquelle nous travaillons actuellement. Il est vrai que nous avons une obligation de résultat, mais la question de la rémunération des agriculteurs n'est pas un sujet nouveau, qui ne serait débattu que depuis trois ou quatre ans. C'est une question ancienne à laquelle nous nous sommes attaqués par le bon bout, c'est-à-dire par l'angle du coût de production. Que trois ans après la promulgation de la loi ÉGALIM, il soit nécessaire de l'adapter, cela me semble assez naturel. Nous nous étions d'ailleurs engagés à rouvrir le dossier si les choses ne fonctionnaient pas suffisamment bien. La proposition de loi, qui vise à instaurer la transparence et la pluriannualité, me semble aller tout à fait en ce sens.
Par ailleurs, il est impossible de parler de la rémunération des agriculteurs sans parler de la politique agricole commune, que vous avez évoquée, monsieur le ministre. Même si certains le regrettent, la politique agricole commune existe et compte pour beaucoup dans cette rémunération.
Si la nouvelle programmation qui se négocie actuellement va déplacer certains curseurs, l'enveloppe des crédits alloués à la France restera stable, et prioriser tel ou tel secteur peut inquiéter l'élevage allaitant, qui est déjà en difficulté. Je voudrais donc vous entendre sur la manière dont vous appréhendez la question des aides de la PAC à l'élevage allaitant.
En ce qui concerne enfin les clauses miroirs, il est absolument essentiel que ne puissent être importées sur notre territoire des denrées produites en dehors des normes que nous autorisons. Quel est l'état d'esprit des pays de l'Union européenne sur ce sujet et quelles perspectives avons-nous de voir ces clauses se développer ?

M. le président.
La parole est à M. le ministre.
Monsieur le ministre, le monde laitier attend notamment vos réponses sur les aides couplées.

M. Julien Denormandie, ministre.
Cette question va me permettre de répondre également à M. Dufrègne. Vous avez raison s'agissant d'ÉGALIM, il faut remettre l'ouvrage sur le métier. Alors que la législature n'est pas encore achevée, cela témoigne de notre volonté d'avancer, ensemble, sur ces sujets compliqués, et je ne doute pas que le débat parlementaire nous permette d'aller le plus loin possible et d'aboutir à quelque chose qui fonctionne.
Pour ce qui regarde la PAC, c'est un point essentiel mais qui ne doit jamais occulter les problématiques de la loi ÉGALIM et celles liées aux filières. Pour ma part, je défends un maintien des équilibres entre territoires et filières et ne suis pas favorable à des transferts massifs, tels que ceux auxquels avaient donné lieu les deux dernières négociations, d'autant que nous avons deux réformes à finaliser : celle des éco-régimes et de leur accessibilité pour les filières végétales et animales et celle des aides couplées.
Pour cette dernière, ma conviction est qu'il faut revoir les modalités de calcul des aides couplées animales ; elles sont aujourd'hui calculées à partir du nombre de veaux par vache, alors qu'il faudrait passer à un calcul basé sur les UGB, c'est-à-dire sur la composition du cheptel. De nombreux acteurs de la filière sont favorables à une réforme en ce sens.
Cela étant dit, le diable se niche dans les détails. C'est ainsi que beaucoup ont craint que le passage à l'UGB, qui nécessite beaucoup d'ajustements techniques, s'accompagne d'une diminution massive des aides. Des chiffres ont circulé, qui ne correspondent en rien à la réalité : alors que les aides bovines représentent un peu plus de 700 millions d'euros, certains ont parlé d'une diminution de 250 millions d'euros, ce qui revenait à tuer le système. Or ce n'est absolument pas ma vision de cette réforme importante, dont il faut encore définir les différents curseurs, en prenant en compte toutes ses implications.
Elle ne pourra se faire qu'au prix d'un important travail avec les filières et de beaucoup d'accompagnement mais, malgré les craintes qu'elle suscite, ce dispositif est, à mes yeux, celui qui répond le mieux aux objectifs que nous nous sommes fixés – et si je ne minimise en rien les difficultés que nous rencontrerons.
Quant à une réduction significative des aides, dont certains ont fait courir la rumeur, elle ne figure dans aucun des scenarii actuellement sur la table.

M. le président.
Des orateurs des différents groupes dont les membres ont souhaité intervenir se sont exprimés. Nous allons passer à une seconde série de questions.
La parole est à M. Yves Daniel.

M. Yves Daniel.
L'agriculture suscite les passions, car ce n'est pas une activité comme les autres pas plus que les produits agricoles ne sont pas des produits comme les autres ; il faut le marteler, car cette spécificité doit être prise en compte.
Depuis plus d'un demi-siècle, le constat est tristement le même, on tient aux agriculteurs les mêmes discours, on entend les mêmes propos en réponse aux mêmes demandes et aux mêmes revendications sur leurs revenus. Or, par chance, il me semble qu'enfin nous sommes partis pour passer des discours aux actes.
On a évoqué précédemment le besoin de régulation. Certes, la loi de l'offre et de la demande est incontournable – même si nous ne l'avons pas votée – lorsqu'on évoque les marchés, mais elle ne peut à elle seule les réguler. C'est la raison pour laquelle je crois beaucoup aux filières et à la contractualisation.
Pourquoi ne pas imaginer un fonds de régulation, à l'image de ce qui a été mis en place avec l'épargne de précaution, qui serait alimenté par l'ensemble des acteurs de la filière et assorti d'un système de bonus-malus ?
J'aimerais aussi évoquer le contexte dans lequel nous évoluons. On parle beaucoup de bien-être animal, mais il est grand temps de penser, comme on commence enfin à le faire, au bien-être des éleveurs et des agriculteurs. Face aux contraintes qu'ils subissent, face à l'agribashing, notre devoir n'est-il pas de construire un discours positif, notamment à l'attention des jeunes ? L'agriculture est confrontée au défi du renouvellement des générations, et ce serait sans doute un moyen de lui permettre de surmonter ce problème.

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Au-delà des fonds de régulation, c'est l'ensemble des dispositifs assurantiels, comme l'assurance récolte ou les fonds de protection qui nous occupent et pour lesquels nous devons trouver des solutions.
Autant il me paraît extrêmement difficile de mettre en place des fonds de régulation par les prix, autant je pense que nous avons besoin de filets de sécurité assurantiels. Une double épée de Damoclès menace aujourd'hui nos agriculteurs : d'une part, celle des variations du marché ; d'autre part, celle des aléas climatiques, de plus en plus violents. C'est dans cette direction que doit s'orienter ce que vous appelez fonds de régulation, que je préfère qualifier de politique assurantielle.
Ensuite, j'ai toujours dit que le bien-être des animaux serait d'autant plus fort que le bien-être des éleveurs serait pris en compte. On citait tout à l'heure l'exemple de la castration à vif des porcelets. Un texte réglementaire a déjà été pris pour qu'il y soit mis fin au 1er janvier 2022. Reste que cela a un coût. Nous y travaillons depuis un an avec les filières, mais cela dépend aussi des consommateurs : en effet, si l'on castre les porcelets, c'est avant tout parce que les consommateurs veulent un jambon qui ne sente pas trop fort. Il faut donc que, sur l'ensemble de la chaîne – chez les industriels et dans la grande distribution aussi – chacun prenne ses responsabilités.
Vous aurez sans doute noté que je n'emploie jamais le mot agribashing. En revanche, je parle de qualité, d'innovation, de passion et de rémunération. Ce sont sur ces termes que doit se fonder un discours positif qui incite la jeunesse de France à se tourner vers ces beaux métiers du vivant du monde agricole.

M. le président.
La parole est à Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine.
Afin d'améliorer le revenu des agriculteurs, la loi ÉGALIM prévoyait pour chaque filière agricole la mise en place d'un indicateur de référence et de marché permettant d'intégrer les coûts de production dans la négociation des prix avec les secteurs de la transformation et de la distribution. Force est de constater cependant que la loi n'a rien changé au fait que les producteurs sont encore soumis au bon vouloir de la grande distribution dans la négociation des prix.
Par ailleurs, le groupe Bigard a clairement dit devant l'interprofession qu'il ferait tout pour ne pas appliquer la loi : c'est un exemple des rapports de forces que vous évoquiez tout à l'heure. Dans une économie de marché, les objectifs de la loi ÉGALIM, si louables soient-ils, ne pourront être atteints s'ils ne sont pas associés à des mesures contraignantes. Dans ces conditions, comment comptez-vous limiter les marges de négociation de la grande distribution et des industriels ?

M. le président.
La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre.
Ma conviction – et nous n'avons pas affaire à une science exacte –, c'est qu'il ne s'agit pas uniquement d'une relation entre agriculteurs et grande distribution, mais d'une relation à trois, dans laquelle, il y en a deux qui finissent par s'entendre sur le dos du plus faible, c'est-à-dire de l'agriculteur. Il en résulte un jeu de dupes – quand bien même certains, dans la grande distribution ou chez les industriels, sont vertueux et jouent vraiment le jeu. Dans cette guerre des prix, chacun, lorsqu'il voit que son voisin a obtenu un prix avantageux s'efforce d'obtenir la même chose, ce qui tire tout le monde vers le bas.
Il faut cesser le jeu de dupes, arrêter ce nivellement vers le bas, par lequel tout le monde creuse sa tombe, et sortir de cette situation par le haut. Cela implique que tous les grands capitaines d'industrie qui ne cessent de vanter la qualité France renoncent à creuser la tombe commune et prennent collectivement conscience des enjeux : la chaîne agroalimentaire est une chaîne, et s'il y en a un qui tombe, tous tomberont avec lui ; si demain, l'agriculture meurt, après-demain, ce sera l'industrie, puis la grande distribution.
Concernant ensuite les rapports de forces, je multiplie les contrôles pour être sûr que la loi soit respectée, sachant que la nouvelle proposition de loi doit nous donner les moyens de sortir par le haut de ce jeu de dupes. Il s'agit d'un texte technique mais qui, grâce à ses apports en matière de contractualisation, de transparence, de non-négociabilité des prix, de pluri-annualité et de comité des différends, devrait nous permettre d'améliorer significativement le cadre des négociations commerciales.
Je ne dis pas que le schéma est parfait, mais un gros travail a été accompli et je compte sur les débats parlementaires pour nous permettre d'aller plus loin. J'y suis favorable.

M. le président.
La parole est à Mme Josiane Corneloup.

Mme Josiane Corneloup.
Le constat est unanime : la loi ÉGALIM avait suscité beaucoup d'espoirs, mais les résultats ne sont malheureusement pas là, notamment pour les éleveurs de viande bovine – je le constate régulièrement, puisque je suis élue dans le coeur de la Saône-et-Loire, berceau de la race charolaise.
La Mutualité sociale agricole fait état d'un quart des agriculteurs ayant des revenus inférieurs à 350 euros mensuels : dans ces conditions, il n'est pas envisageable que des jeunes s'engagent dans l'agriculture.
Nous sommes toujours dans une guerre des prix, au détriment de la qualité et de la santé. Lors de la précédente table ronde, ont été évoquées les lentilles produites au Canada et séchées au glyphosate ; j'y ajouterai les steaks de soja et d'huile de palme, en insistant sur le fait que nous devons impérativement renouer avec la notion de qualité.
Nous avons vu que le relèvement de 10% du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions sont restés sans effet sur l'augmentation des revenus agricoles. Le rapport Papin estime que ces deux dispositifs auraient permis de dégager 550 millions d'euros, mais ces sommes n'ont malheureusement pas profité aux agriculteurs.
Le recours à la contractualisation se révèle également un échec, puisque celle-ci ne porte que sur des volumes dérisoires, inversement proportionnels à la publicité qui en est faite. C'est regrettable car, aux dires des agriculteurs qui la saluent, cette contractualisation, lorsqu'elle intervient permet une augmentation des prix intéressante.
Ne faut-il pas changer le paradigme de la loi ÉGALIM qui, jusqu'ici, n'était pas contraignante, en imposant désormais la construction du prix à partir des coûts de production mais aussi, dans une marche en avant, de la hausse des matières premières agricoles et des coûts de transformation ? Ne faut-il pas également interdire l'achat de produits alimentaires vendus à perte et faire en sorte que l'article 44 de la loi soit appliqué et que soit interdite toute importation de denrées alimentaires pour lesquelles il a été fait usage de produits non autorisés en France ?

M. le président.
Je propose de regrouper les dernières questions. La parole est à Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy.
Tout le monde parle beaucoup de contractualisation, pour ma part, je vais vous livrer une remontée du terrain en ce qui concerne les coopératives : l'éleveur que nous recevions il y a quelques instants nous a dit qu'il voulait dorénavant des contrats tripartites, et c'est une demande unanime en ce moment car on voit vraiment beaucoup de gens se plaindre fortement de leur appartenance à une coopérative. Je pense que vous avez dû avoir vous aussi, monsieur le ministre, des remontées en ce sens. Il y en a certes qui jouent le jeu, qui ne se sont pas dévoyées, mais on en trouve beaucoup dont les associés coopérateurs se plaignent vraiment.
Ensuite, vous connaissez mon dada : je demande régulièrement comment faire pour obliger les consommateurs à acheter ce qu'ils demandent puisque leurs demandes sont souvent déconnectées de leur acte d'achat. Il est vrai qu'on parle beaucoup des clauses miroirs pour les importations de pays tiers mais, autre remontée du terrain, en ce moment, les agriculteurs se plaignent beaucoup de tout ce qui est importé des autres pays de l'Union européenne à des prix bien plus bas que chez nous, sans que les normes de production aient été forcément respectées. On va parfois chercher bien loin des coupables, mais il faut reconnaître que cette situation n'aide pas à accorder les souhaits aux pratiques du consommateur, car ce qu'il achète le plus en ce moment, ce sont des produits importés, fraises ou autres.

M. le président.
La parole est à M. André Chassaigne, qui pose la dernière question au ministre.

M. André Chassaigne.
Depuis des années, on caresse l'ambition de créer un cercle vertueux en termes de relations, j'ai connu cela avec Bruno Le Maire quand il était ministre de l'agriculture, il y a une dizaine d'années. Il comptait tout arranger dans le cadre des interprofessions, j'avais même l'impression qu'il avait atteint le nirvana… Or depuis, c'est plutôt la descente aux enfers. Je pense qu'à force de caresser le cercle vertueux, il devient de plus en plus vicieux car si on ne pose pas les vraies questions, l'on n'arrivera pas à trouver des solutions durables – y compris d'ailleurs dans la proposition de loi qui va arriver au mois de juin, on aura l'occasion d'en parler. Les vrais problèmes ne sont pas pris en compte alors que vous avez vous-même esquissé ce qu'il fallait faire, monsieur le ministre, en disant qu'il va falloir faire bouger les lignes pendant la présidence française de l'Union européenne. En effet, tant qu'on aura une politique agricole commune uniquement axée sur la concurrence, sur la compétitivité et sur l'ouverture des marchés, on n'y arrivera pas ! Il faut mettre un coup de pied dans la fourmilière.
Vous dites avoir l'espoir de faire évoluer la situation concernant les clauses miroirs, mais l'article 44 de la loi ÉGALIM n'est toujours pas opérationnel parce que c'est impossible encore aujourd'hui de contrôler si les produits importés respectent les normes environnementales ou sanitaires existant en Europe. Les règles sont détournées par tout le monde, les services des douanes et la DGCCRF nous disent qu'ils ne peuvent rien y faire, et ce n'est même pas possible au niveau européen.
Et puis s'agissant de la garantie des prix, il faut arriver à ce que l'Union européenne admette qu'il faille les garantir à un niveau qui couvre les coûts de production.
En ce qui concerne la PAC, non seulement elle ne va pas améliorer les choses, mais créer des distorsions de concurrence.
Enfin, vous avez dit que la baisse des aides couplées ne sera pas de 250 millions d'euros, mais alors quel sera son montant et selon quels calculs ?

M. le président.
Je donne la parole à M. le ministre, en le remerciant vraiment pour sa disponibilité.

M. Julien Denormandie, ministre.
J'ai noté plusieurs points communs entre les questions de Mme Corneloup et de Mme Leguille-Balloy, à commencer par des interrogations sur l'intérêt de la contractualisation. Il est majeur pour moi. Tous les travaux menés avec les uns et les autres et qui donneront lieu à ce nouveau texte en juin ne sont pas des travaux théoriques : ils ont été à chaque fois issus des bonnes pratiques observées ici ou là, notamment grâce à la mission de Serge Papin qu'Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons mandaté il y a maintenant plus de six mois, sachant qu'il connaît bien le système, y compris ses entrailles. Toutes ces études montrent que la contractualisation permet de changer beaucoup de choses, plus encore la contractualisation tripartite, plus aisée à imposer au regard des règles de la concurrence, mais on aura l'occasion d'en reparler en juin puisque.
La loi ÉGALIM prévoit que la contractualisation n'est pas obligatoire sauf dispositions contraires, la proposition de loi Besson-Moreau prévoira l'inverse, c'est-à-dire qu'on changera complètement la logique du mécanisme pour que la contractualisation devienne la règle de base. Je pense que c'est un point extrêmement important.

M. André Chassaigne.
J'avoue que je ne comprends rien à tout ça !

M. Julien Denormandie, ministre.
Aujourd'hui, loi ÉGALIM ne rend la contractualisation obligatoire que pour certaines filières, que pour certains secteurs. Dans la proposition de loi, la non-contractualisation est l'exception, quand on ne peut faire autrement.

M. Jean-Paul Dufrègne.
C'est un peu la même chose !

M. Julien Denormandie, ministre.
Pour certaines filières, encore fort loin de la contractualisation, ce sera un sacré enjeu, y compris dans la filière viande où elle est beaucoup moins développée que dans d'autres comme la filière laitière. Je rappelle que Bruno Le Maire, suite aux crises du lait successives, l'avait fait adopter comme principe de base – je pense que cela avait même fait l'objet d'une disposition législative. Je crois beaucoup à la contractualisation. Toutes vos interventions, mesdames, messieurs les députés, ont bien montré : si l'on veut faire cesser la guerre des prix et garantir beaucoup plus de transparence, il faut passer par la contractualisation.
Après la contractualisation, j'en viens à un deuxième point : je suis à fond pour l'indexation que vous avez évoquée. Et je souligne, répondant ainsi à M. Chassaigne, que le débat que nous aurons en juin portera notamment sur le fait de savoir si le dispositif prévu par cette proposition de loi sera à même de changer les choses. Vous commencez à me connaître et vous savez que je ne suis pas là pour soutenir des mesures qui n'auraient finalement aucun impact. Mon seul objectif, c'est que le texte qui sortira de l'Assemblée, puis du Sénat, soit un texte qui change les choses. Il ne s'agit pas de tourner autour du pot – ou de " caresser le cercle ", monsieur Chassaigne –, je veux vraiment que nos débats aboutissent à un dispositif qui permette de changer la donne.
En revanche, puisque vous me connaissez, vous savez que pour moi il ne faut jamais raconter des carabistouilles aux uns ou aux autres, comme dire par exemple que la loi va fixer tous les prix, filière par filière, type de production par type de production et type de produit par type de produits, y compris par type d'aliment. On a eu ce débat cet après-midi, monsieur Chassaigne, et nous savons tous que cela ne peut pas fonctionner ainsi. Mais mon objectif, c'est vraiment d'aller le plus loin possible, et tout ce que nous entreprenons ne vaut le coup que s'il y a vraiment un changement in fine , sinon cela ne sert à rien. Je suis là pour que chacun ait le courage d'aller de l'avant. Je ne suis pas sûr que vous ayez entendu souvent un ministre de la République dire que la loi LME était à son avis une erreur et qu'il fallait arrêter de faire une politique sociale sur le dos des agriculteurs. J'ai quant à moi le courage politique de le dire parce que je pense que c'est vrai et que c'était une faute.
Troisième point : les coopératives, qu'a évoquées Mme Leguille-Balloy. Son intervention appelle de ma part deux remarques. Tout d'abord, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Ensuite, les enjeux que vous avez évoqués renvoient aux filières, qui en ont bien conscience. Je mouille le maillot pour améliorer la situation autant que faire se peut mais je ne suis pas actionnaire d'une coopérative.
Quatrième point : le consommateur et l'opposition entre l'appel aux clauses miroirs et ce qui se passe à l'intérieur de l'Union européenne. Vous avez mille fois raison, madame la députée, et c'est bien pourquoi il y a à cet égard une grande avancée dans la PAC puisque le fameux écorégime, ce nouveau mécanisme agroenvironnemental, va être obligatoire pour tous les États membres. Nécessaire mais pas encore suffisant, me direz-vous, mais c'est tout de même un message politique très clair – même si la mise en place va prendre plusieurs années : il n'y a plus de dérogations possibles pour certains États membres, tous sont concernés.
Mon dernier point portera sur ce que M. le député Chassaigne appelle les vraies questions. Si la distorsion de concurrence au sein du Marché commun en est une, je réponds archi oui, et ce n'est pas un problème d'accord de libre-échange car, quel que soit le taux de droits de douane, il faut arrêter une hypocrisie qui consiste à dire : loin des yeux, loin de ma conscience environnementale ou nutritionnelle. Mais ce serait vous mentir, monsieur le député, que d'affirmer qu'il suffit que la France en décide autrement. J'adorerais que ce soit le cas, mais le fait est que ce n'est pas aussi simple. Je crois que, même avec vos racines communistes, vous voyez bien que la question ne relève pas uniquement du niveau national ni même du niveau européen, mais aussi de l'OMC, de même que vous voyez bien les avantages que le monde agricole retire de sa capacité à exporter.
Je conclurai en soulignant qu'il y a quelque chose d'aberrant dans le fait que les règles européennes se fixent depuis toujours comme angle la protection du consommateur européen pour interdire ou non un produit en fonction de son impact sur sa santé ou sur son environnement, mais sans se préoccuper du reste du monde alors que les choses ont changé. Ainsi, en détruisant l'Amazonie par une production qui ne respecte pas nos standards, l'on détruit l'environnement au Brésil mais aussi en Europe. Voilà ce qu'il faut faire changer. Tous les pays sont évidemment impliqués sur ce point à des degrés variables mais, je le redis, c'est pour moi vraiment la mère des batailles. Nous allons progresser fortement sur ce point durant la présidence française.
Nous enregistrerons prochainement nos premières victoires, notamment avec un acte délégué sur les antibiotiques, et je salue la filière bio qui a fait avec mon ministère un gros travail, en particulier la Fédération nationale bovine et la Fondation Nicolas Hulot sur le plan de l'analyse juridique. Il faut absolument en faire un enjeu politique majeur : ce n'est pas de l'ostracisme, c'est prendre conscience que si on veut accélérer notre transition, cela doit se faire avec des règles justes et équitables pour le commerce international. Il existe déjà un cap à suivre, le Codex Alimentarius , mais je ne suis même pas sûr que quelqu'un le connaisse dans cette salle, c'est dire sa portée… Il faut donc aller beaucoup plus loin, notamment dans le cadre de la revue des politiques commerciales européennes.

M. André Chassaigne.
Et les 250 millions ?

M. Julien Denormandie, ministre.
On est en train de finaliser les maquettes, je vous en dirai plus dès que je saurai, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne.
Ce sera donc mercredi ?

M. Julien Denormandie, ministre.
Non, ce ne sera pas encore finalisé malheureusement.

M. le président.
Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 6 mai 2021