Déclaration de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sur la loi Égalim, au Sénat le 13 avril 2021.

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Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : " La loi Égalim ou comment sortir de l'impasse dans laquelle ce texte a plongé l'agriculture. "

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, M. Gremillet a raison de vouloir faire de l'agriculture un véritable combat. Je le partage, d'autant qu'elle a un triple défi à relever.

Le défi de la souveraineté, tout d'abord : il n'est pas possible d'avoir un pays fort sans une agriculture forte, comme il n'est pas possible d'avoir une agriculture sans agriculteurs. Or, aujourd'hui, nos agriculteurs vivent beaucoup trop par passion et pas assez de leur rémunération. Le souci de la rémunération de celles et de ceux qui nourrissent le peuple de France ne doit jamais être abandonné.

Le défi de la guerre des prix, ensuite : nous y sommes confrontés depuis des années. Or elle est tout simplement antinomique avec l'ADN de notre agriculture, tournée vers la qualité. Ce qui fait la singularité du modèle agricole français, dans la grande culture comme dans l'élevage, ce sont des standards souvent beaucoup plus élevés qu'ailleurs dans le monde. Il faut toutefois avoir le courage politique de dire que l'alimentation française doit être rémunérée à sa juste valeur, sans quoi ce modèle ne sera plus viable. Très souvent, par facilité, on a oublié de le préciser, laissant croire que le pouvoir d'achat des Français pouvait être financé sur le dos des agriculteurs. C'est une erreur politique qu'il faut avoir le courage de corriger.

Le défi de la création de valeur, enfin : c'était le sens du discours du Président de la République à Rungis et l'objet premier des États généraux de l'alimentation (EGA), puis de la loi Égalim.

Cette loi a introduit certains dispositifs, notamment la marche en avant, c'est-à-dire la nécessité pour l'industriel de négocier d'abord avec l'agriculteur avant de discuter avec la grande distribution. Ce nouvel état d'esprit était nécessaire, mais, très clairement, il n'est pas suffisant.

Cette loi a également renforcé les organisations de producteurs : vous avez souligné qu'il s'agissait d'un point essentiel, monsieur le sénateur Gremillet.

Cette loi a aussi tenté de mieux répartir la création de valeur, avec ce fameux seuil de revente à perte qui a fait tant de bruit, notamment sur les travées du Sénat.

Enfin, cette loi a essayé d'ouvrir des débouchés, notamment en imposant 50 % de produits de qualité dans la restauration hors domicile publique. Le projet de loi Climat prévoit d'étendre ces obligations de qualité à la restauration hors domicile privée, ce qui me semble très important.

Trois ans après le vote de cette loi, où en est-on ? De l'avis unanime, elle a permis d'insuffler un nouvel état d'esprit. Sans elle, la guerre des prix et la déflation auraient sans doute été encore plus fortes cette année – je ne dis pas pour autant qu'elles n'existent plus. Contrairement aux craintes de certains, elle n'a pas non plus conduit à une flambée des prix pour le consommateur. Souvenez-vous des débats de l'époque, mesdames, messieurs les sénateurs.

Cette loi a également permis des évolutions positives, notamment pendant les deux premières années, dès lors qu'il y avait des organisations structurées et des mécanismes de contractualisation. Cela doit permettre d'orienter nos futures décisions.

Enfin, la loi a permis des avancées pour la restauration hors domicile, même si on est encore loin du fameux 50 % qui doit s'appliquer à partir du 1er janvier 2022. La dernière enquête que nous avons menée début 2020 montrait que nous étions à peu près à 15%. Le chemin à parcourir est donc encore long, mais, ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tracé une voie.

Cela étant dit, le compte n'y est pas – je ne peux pas être plus clair. Des difficultés importantes subsistent, et nous devons corriger certaines limites de la loi.

S'agissant de la marche en avant pour déterminer le prix, la loi Égalim a fourni la méthode, mais pas suffisamment les outils. C'est pourquoi le jeu de dupes que nous connaissions perdure. Par exemple, lorsque le prix des matières premières agricoles augmente, comme c'est le cas cette année notamment des céréales destinées aux élevages de volailles, l'éleveur se tourne vers la grande distribution pour lui demander d'augmenter le prix d'achat. Le distributeur lui répond qu'il a proposé à l'industriel d'acheter plus cher, mais, comme il n'était pas sûr que l'industriel rétrocéderait sa marge à l'éleveur, il ne l'a pas fait. Ce dernier se tourne alors vers l'industriel, qui lui dit : j'ai demandé à la grande distribution d'augmenter son prix, mais elle n'a pas voulu… Nous devons absolument sortir de ce jeu de dupes qui se fait sur le dos de l'agriculteur. C'est l'objet des recommandations du rapport de Serge Papin.

On constate également qu'il y a encore trop peu de contractualisation. Pour sortir de ce jeu de dupes, il faudrait beaucoup plus de transparence. Or ce n'est pas encore le cas aujourd'hui, malgré un certain nombre d'initiatives.

On constate aussi encore trop souvent des prix affichés incompréhensibles, notamment dans le cadre de promotions de déstockage. En faisant croire qu'il est possible d'acheter du rôti de boeuf à 9 euros le kilo ou des parties nobles de porc à 2,46 euros, on envoie des signaux extrêmement négatifs au monde de l'élevage et aux consommateurs. Il faut absolument corriger cela ! Comment faire ?

D'abord – vous m'avez toujours entendu le dire –, il faut entrer dans un rapport de force. C'est ce que ma collègue de Bercy et moi-même avons fait lors des dernières négociations commerciales. En six semaines, nous avons diligenté l'équivalent de six mois de contrôles. Une relation commerciale, c'est un rapport de force. L'État doit prendre sa part et être aux côtés du plus faible.

Ensuite, il faut suivre les recommandations de Serge Papin et des différents parlementaires qui ont longuement travaillé sur ce sujet. J'ai lu avec grande attention votre proposition de loi, monsieur le sénateur, ainsi que les travaux de l'Assemblée nationale.

Quatre points me semblent essentiels, sur lesquels je reviendrai lors du débat interactif.

Premièrement, si l'on veut sortir de la guerre des prix, la marche en avant doit passer par beaucoup plus de contractualisation, notamment pluriannuelle.

Deuxièmement, nous devons évoluer vers un système de transparence des marges, en nous inspirant des exemples qui fonctionnent.

Troisièmement, si les dispositions de la loi Égalim sur la médiation ne sont pas totalement satisfaisantes, c'est parce qu'aucune fin n'est prévue pour celle-ci. Or la partie la plus faible dans la relation contractuelle n'ose pas y mettre un terme par peur des représailles. Il faut renforcer les pouvoirs de la médiation.

Enfin, quatrièmement, sur la négociabilité des prix, n'oublions pas que les relations agroalimentaires sont des relations à trois. Une fois que l'agriculteur a négocié avec l'industriel, dans quelle mesure les prix doivent-ils être figés tout au long de la relation contractuelle ?

Les sujets sont donc sur la table, et je vous assure de mon engagement pour trouver des solutions, car il y va de la souveraineté de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Comme j'ai pu l'exprimer à l'occasion d'une question au Gouvernement le 24 mars dernier, la loi Égalim était porteuse d'espoir, mais elle n'a pas tenu ses promesses à ce jour. Sans nier les évolutions nécessaires qu'elle a engendrées, force est de constater que cette loi doit être révisée ou complétée afin de garantir la valorisation des productions agricoles et la juste répartition de la chaîne de valeur. C'est là un vrai enjeu de souveraineté.

Le récent rapport Papin vient apporter des éclairages intéressants sur les pistes à explorer pour améliorer la situation. Je salue notamment la proposition de contractualisation pluriannuelle, qui me semble aller dans le bon sens.

Tout cela m'amène à évoquer deux sujets majeurs.

Le premier est relatif à la hausse du seuil de revente à perte. En effet, ce dispositif majeur de la loi Égalim a occasionné la hausse du prix de certains produits, mais n'a pas bénéficié pour autant aux entreprises de l'agroalimentaire et aux producteurs agricoles. On évoque 600 millions d'euros occasionnés par ce dispositif et non répercutés par la distribution. Partagez-vous ce constat, monsieur le ministre ? Comment comptez-vous garantir l'équité de cette répartition et faire ruisseler les effets du relèvement du SRP jusqu'à nos agriculteurs ?

Le second sujet porte sur les incohérences, voire les contradictions d'objectifs entre la loi Égalim et la loi de modernisation de l'économie (LME). Le sujet est récurrent : les négociations et la revalorisation tarifaire ne fonctionnent pas.

La LME a sans doute trop déséquilibré et dérégulé les négociations entre les centrales d'achat et leurs fournisseurs. Il me semble aujourd'hui incontournable de réviser une nouvelle fois cette loi pour mieux intégrer les coûts de production et enrayer la guerre des prix ainsi que la spirale déflationniste, autant d'outils de destruction de valeur. Comment souhaitez-vous aborder le sujet pour rendre cohérents et complémentaires ces deux dispositifs législatifs ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Concernant la hausse du SRP, monsieur le sénateur, nous avons reçu une première évaluation à l'automne, qui montre qu'elle n'a pas conduit à une augmentation des prix pour le consommateur – il est important de le souligner – et que les 600 millions à 800 millions d'euros qu'elle a permis de dégager ont surtout été affectés à des promotions liées aux cartes de fidélité, mais aussi peut-être aux MDD. Nous ne pouvons pas encore mesurer précisément son impact sur les agriculteurs, mais il a sans doute été très inférieur à ceux que je viens d'indiquer pour le consommateur.

Nous finalisons une nouvelle enquête, qui sera disponible à l'automne prochain. C'est précisément parce que nous ne disposions pas encore de tous les éléments d'analyse que vous avez décidé de prolonger le dispositif dans la loi ASAP.

Quant à la LME, son objectif louable était d'améliorer le pouvoir d'achat, mais la libre négociabilité qu'elle a sciemment permise dans toute la chaîne de négociations agroalimentaires, revenant sur la loi Galland, a laissé le rapport de force librement s'opérer, avec, d'un côté, les gros acteurs que sont les industriels et les distributeurs et, de l'autre, les agriculteurs.

À rebours de la LME, l'objectif de la loi Égalim était non pas la déflation, mais l'inflation du prix agricole. Le coeur du problème, c'est qu'elle a fait cela sans revenir sur certains principes de la LME. C'est une erreur à corriger, me semble-t-il.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Les intervenants précédents l'ont rappelé : la loi Égalim n'a pas atteint ses objectifs, que ce soit sur le revenu agricole ou sur son volet environnemental. Ce constat est largement partagé.

En novembre dernier, un collectif de vingt et une organisations environnementales et agricoles interpellait le Gouvernement sur le manque d'efficacité de cette loi. Plus récemment, le rapport de Serge Papin a montré à quel point nous devions aller plus loin pour le nécessaire rééquilibrage des relations commerciales. Le revenu des agriculteurs est toujours en berne, avec des conséquences humaines désastreuses. Il est donc légitime d'aborder ici ce sujet.

On peut se réjouir de l'annonce du dépôt prochain d'un texte correctif de cette loi. Nous serons présents lors de ces débats pour proposer des mesures fortes et coercitives afin de défendre un revenu agricole réellement équitable.

Ce n'est pas spécifiquement la loi Égalim qui a conduit nombre d'agriculteurs dans une situation difficile, mais bien un ensemble de politiques publiques favorisant toujours plus l'industrialisation de notre agriculture et une répartition de la valeur ajoutée extrêmement défavorable aux agriculteurs. À l'heure où les attentes sociétales et les enjeux environnementaux nous montrent clairement que nous devons changer de cap, il faut de véritables politiques orientées.

À ce titre, on ne peut pas oublier qu'en ce moment même une politique bien plus structurante que la loi Égalim est en train de se dessiner. Je veux bien sûr parler de la PAC et de ses 9 milliards d'euros. Les négociations et consultations s'intensifient sur le plan stratégique national que chaque État membre doit élaborer, mais elles restent discrètes et associent peu le Parlement. Aussi, monsieur le ministre, allez-vous associer le Parlement à la conception du PSN et lui soumettre ce plan, essentiel pour l'avenir de notre agriculture et de notre alimentation ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, vous dites que le rapport de Serge Papin arrive à point nommé. Mais il n'est pas tombé du ciel ! Si je l'ai commandé, c'est précisément parce que je fais le même constat que vous et que je veux aller plus loin. Le Gouvernement est pleinement engagé sur le sujet.

Vous dites également que les nouvelles conditionnalités de la PAC sont encore plus structurantes que la loi Égalim. Mais certains – votre groupe en fait l'écho – oublient toujours de parler de la création de valeur pour l'agriculteur. Le gros défaut des transitions agroécologiques, c'est que l'on a simplifié à l'excès le discours sans jamais se poser la question de la valeur qu'elles devaient aussi créer pour l'agriculteur.

Si votre discours était parfaitement cohérent, vous devriez aller jusqu'au bout de la logique et avoir le courage politique, comme je l'ai fait à cette tribune, d'appeler à une augmentation du prix des aliments, avec bien entendu un accompagnement par des politiques sociales dédiées. Tant que nous ne le ferons pas, nous serons dans une forme de facilité qui nous conduira à une impasse. On ne peut pas faire croire que ces transitions peuvent être financées par nos seuls agriculteurs, sans contribution du consommateur.

Enfin, songez que l'écorégime de la PAC consiste à prendre 25% du salaire de l'agriculteur et de le lui reverser seulement s'il se lance dans une transition agroécologique. Que diriez-vous si je séquestrais 25 % de votre indemnité en échange d'une modification de votre comportement ? On se permet de telles pratiques seulement dans le monde agricole ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Une fois de plus, monsieur le ministre, vous ne m'avez pas bien écouté. J'ai bien parlé de création de valeur, et nous répétons sans cesse que nous voulons des prix rémunérateurs pour les agriculteurs.

La nourriture, c'est aujourd'hui la variable d'ajustement dans le budget d'un ménage. Il faut changer cela. Nous devons créer de la valeur pour l'agriculteur et faire en sorte qu'elle n'aille pas dans les poches des intermédiaires. Mais il faut aussi faire des choix forts de politique agricole, et, dans ce domaine comme dans d'autres, je vois bien que le Gouvernement a du mal…

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. On assiste aujourd'hui à un renouveau de l'intérêt politique pour les questions agricoles et alimentaires. Un nombre croissant de collectivités territoriales, de toutes tailles et de tous niveaux, souhaite porter ces enjeux et s'engage aux côtés des acteurs locaux pour accompagner la transformation des modèles de production et de consommation. Ces démarches sont le coeur de la loi Égalim, qui prévoit que l'objectif de 50 % de produits locaux ou bio dans la restauration collective soit atteint d'ici à 2022.

Les collectivités disposent de multiples leviers d'action pour stimuler et accompagner ces dynamiques locales. Au premier rang d'entre eux, se trouvent les projets alimentaires territoriaux : l'ambition qui les fonde est de relocaliser l'agriculture et l'alimentation dans les territoires.

Le plan de relance annoncé par le Gouvernement fait de l'accès de tous à une alimentation saine, sûre, durable et locale l'une de ses priorités ; plus de 80 millions d'euros seront consacrés au développement des PAT, et l'objectif est qu'il existe au moins un PAT par département à l'horizon de 2022.

Dans son rapport, entre autres pistes, Serge Papin préconise que soient renforcées les actions en faveur de l'origine France et l'éducation nutritionnelle des plus jeunes. Ce dernier point est au coeur du projet de loi Climat et résilience. Je ne doute pas que le débat qui se déroulera au Sénat permettra d'enrichir ce texte.

Pour ce qui est du patriotisme agricole et au regard du nombre d'acteurs sur notre territoire, nous pourrions tendre, en matière de restauration collective, vers le développement d'un « localisme » alimentaire dont pourraient se saisir pleinement les PAT et promouvoir ainsi véritablement le « made in PAT » dans les marchés publics. Nous pourrions même aller plus loin en fixant les mêmes objectifs à la restauration collective privée, dans le droit fil du travail mené dans le cadre de l'examen du projet de loi Climat et résilience.

Parmi les soixante-cinq lauréats du premier appel à projets, un nombre important de PAT sont portés par des EPCI, ce qui tend à démontrer, si besoin était, que l'une des clés de la promotion d'une alimentation durable et locale réside dans une mobilisation de toutes les énergies au niveau d'un bassin de vie.

Faire des EPCI des autorités organisatrices de l'alimentation durable et locale peut être un moyen de déployer efficacement les préconisations du rapport Papin, dès lors que l'ingénierie et les moyens financiers sont au rendez-vous.

Monsieur le ministre, vous qui avez fait du combat pour une alimentation durable une priorité, ne pensez-vous pas que le temps des territoires, assembleurs de dynamisme et d'efficacité, est venu si nous voulons passer à la vitesse supérieure ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, je partage entièrement ce que vous avez dit. Je parlais de la nécessité de promouvoir la création de valeur ; cela passe par la constitution au niveau des territoires de chaînes de distribution locales permettant de créer à la fois de la valeur environnementale et de la valeur économique telle qu'elle apparaît dans les comptes de résultat de nos agriculteurs.

Je crois beaucoup à ces projets alimentaires territoriaux. On se dit très souvent que ces projets représentent des sigles et trop peu des réalités. Or il n'existe pas un territoire où se déploie un projet alimentaire territorial qui ne reconnaisse pas la réelle valeur ajoutée de ce projet.

Fort de ce constat, j'ai décidé, dans le cadre du plan France Relance, de renforcer significativement les crédits des projets alimentaires territoriaux. Songez, monsieur le sénateur, que, lors des quatre dernières années, ils ont été financés à hauteur de 6 millions d'euros et que, au cours des deux prochaines années, ils le seront à hauteur de 80 millions d'euros… Le changement d'échelle est très important.

Par ailleurs, il faut absolument, comme vous l'avez dit, laisser les territoires définir les périmètres de ces projets alimentaires territoriaux : parfois au niveau de l'EPCI, parfois au niveau du département, parfois à d'autres niveaux qui représentent néanmoins des réalités territoriales.

Ces projets alimentaires territoriaux sont issus du travail de collectifs sur les territoires. C'est ainsi qu'il faut les faire naître ; c'est ainsi qu'il faut les accompagner, c'est ainsi qu'il faut les renforcer. Telle est la vision que vous avez exprimée, que je partage en tous points. (M. François Patriat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Henri Cabanel. Dans le cadre du travail que j'ai mené aux côtés de ma collègue Françoise Férat, 90 % des agriculteurs rencontrés ont affirmé que la détresse agricole portait sur le non-partage de la valeur et donc, sur le revenu. C'était pourtant là le coeur des objectifs de la loi Égalim.

Si j'ai soutenu l'idée de mettre toutes les parties prenantes autour d'une même table et si j'ai, comme d'autres, participé aux États généraux de l'alimentation, car la méthode était bonne, il faut bien constater que le résultat n'y est pas. Ce constat d'échec est unanime ; vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, puisque vous avez récemment tapé du poing sur la table face à la grande distribution. Lorsque nous avons auditionné M. Papin dans le cadre de notre groupe de travail sénatorial, le 30 mars dernier, il nous a confirmé que, l'ADN de la grande distribution, c'est toujours la négociation à la baisse, quoi que l'on fasse.

Je vais parler de sujets déjà abordés par mon collègue Franck Menonville. Je vous prie de m'en excuser, mais la pédagogie aussi passe par la répétition…

La hausse des seuils de revente à perte a généré, suivant les estimations, 600 millions, 700 millions, 1 milliard d'euros – on ne le sait pas – de marges supplémentaires pour la grande distribution. Où est allé cet argent ? Où est passé le ruissellement promis vers les agriculteurs ? Il ne s'est pas produit. Cet argent est souvent allé dans les dépenses de communication ou dans les cartes de fidélité, comme vous venez de le mentionner, mais il n'est pas venu abonder les revenus des agriculteurs, puisque les prix sont restés au plus bas. Il faut donc des mesures coercitives.

En 1996, la loi Galland, ou loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, fut jugée excessive…

En 2008, la loi de modernisation de l'économie fut tout son contraire ; libéralisant les relations commerciales, elle a été à l'origine de la guerre des prix à laquelle s'est livrée la grande distribution, qui s'est faite au détriment des agriculteurs. Comme c'est trop souvent le cas, son impact n'avait pas été suffisamment mesuré au moment de son élaboration.

Quant à la concentration des coopératives d'achat dans la grande distribution, elle a resserré l'étau autour des paysans. Là encore, aucun impact n'avait été mesuré à l'époque.

Ma question est donc simple :…

Mme la présidente. Je dois vous demander de conclure votre propos, mon cher collègue !

M. Henri Cabanel. … allez-vous suivre toutes les propositions du rapport Papin et prendre enfin des mesures coercitives ? Vous venez de dire qu'il fallait revenir sur la LME ; comment allez-vous faire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur Cabanel, je voudrais tout d'abord, comme je l'ai fait ce matin à l'attention de votre collègue Mme Férat, saluer la qualité du travail que vous avez mené sur la détresse dans le monde agricole. Cette détresse s'explique en partie, si ce n'est entièrement, par la question de la rémunération. Quand on se bat pour la rémunération, on se bat aussi pour lutter contre ces événements tragiques dont vous avez à coeur, par votre action, de combattre les causes – et je vous en remercie.

Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit de la LME et de la loi Galland. Quelle a été l'erreur dans la LME ? Elle a été de croire au raisonnement suivant : au nom du pouvoir d'achat, renforçons la compétition entre les trois acteurs de la chaîne agroalimentaire, l'agriculteur, l'industriel et la grande distribution ; ce faisant, créant un rapport de force, nous ferons baisser les prix.

Le constat que vous avez fait sur le passage de la loi Galland à la LME, je le partage en tous points. Là est l'erreur politique : s'il ne faut jamais abandonner le combat pour le pouvoir d'achat – le Gouvernement auquel j'appartiens a toujours été, de ce point de vue, en première ligne –, les politiques de pouvoir d'achat à destination des Français ne sauraient en revanche se faire sur le dos des agriculteurs.

J'ai été trois ans ministre de la ville ; oeuvrant à mon niveau, je me suis beaucoup battu pour les politiques sociales d'accompagnement de nos concitoyens qui en ont besoin. Mais c'est une erreur de croire qu'en la matière on peut agir sur le dos des agriculteurs. Il faut dissocier les deux ! Et dissocier les deux, aujourd'hui, cela veut dire revenir sur un certain nombre de dispositifs de la LME, ce qui ne peut se faire que par la loi – d'où les discussions en cours avec vos collègues de l'Assemblée nationale, que vous évoquiez voilà un instant.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Monsieur le ministre, vous nous dites qu'il faut avoir le courage de revenir sur un certain nombre de dispositifs de la LME ; vous nous dites que l'augmentation du pouvoir d'achat des Français est une nécessité ; vous nous dites que cette augmentation ne peut pas se concevoir à partir de la destruction des revenus agricoles.

Évidemment, nous partageons ces affirmations. Nous les partageons d'autant plus que, voilà quelques semaines à peine, une grande enseigne de distribution affichait en Bretagne la vente promotionnelle du kilo de côtes de porc au prix modique de 1,58 euro, soit le prix de trois cigarettes ! Ce n'est pas ça qui va contribuer à améliorer la rémunération des agriculteurs…

Ce que la volonté de préserver le pouvoir d'achat des Françaises et des Français pourrait appeler, en revanche, c'est l'instauration de prix planchers rémunérateurs pour les paysans et d'indicateurs publics des coûts moyens de production par filière ; c'est également l'encadrement d'un certain nombre de marges et l'obligation de publication des comptes, dans un souci de transparence. Or la loi Égalim ne contient aucune de ces dispositions spécifiques.

Aujourd'hui, pourtant, la situation alimentaire dans notre pays s'est largement dégradée – je ne développerai pas davantage. Et la loi Égalim ne contribuera pas à régler ce problème, celui de la capacité de notre pays à offrir une alimentation de qualité aux Françaises et aux Français. Il est impensable qu'existent, d'un côté, une agriculture de qualité réservée à quelques-uns et, de l'autre, une agriculture destinée aux catégories plus précaires de la population.

Ma question est simple :…

Mme la présidente. Monsieur Lahellec !

M. Gérard Lahellec. … quand allons-nous reconnaître qu'il faut faire de la question agricole une question exceptionnelle, ce qui permettrait de la sortir progressivement de l'univers de la concurrence ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur Lahellec, le constat, nous le partageons – je n'y reviens pas. Sur la méthode, il faut faire très attention. La loi Égalim a permis la marche en avant : elle a donné à l'industriel l'obligation de discuter d'abord avec l'agriculteur avant d'aller négocier avec le distributeur. Dans le même temps, elle n'a pas permis de sortir du jeu de dupes que j'évoquais ; elle a concouru à la guerre des prix.

Cela dit, je pense que, pour avancer significativement, il faut passer à la contractualisation, et à une contractualisation pluriannuelle et transparente. Dès lors que les premières parties prenantes, agriculteur et industriel, sont convenues d'un prix, comment faire en sorte que l'industriel ne puisse pas, après, refaire le match ? C'est là tout l'enjeu des travaux de très grande qualité menés par Serge Papin, dont je voudrais saluer la très forte implication.

Vous allez un cran plus loin, ce qui ne m'étonne guère : ne faudrait-il pas, demandez-vous, aller jusqu'à l'administration des prix ?

Sur ce point, nous divergeons. On a parfois tenté, dans le passé, l'administration de certains prix agricoles. Ça s'est toujours mal fini… Si la loi fixe les prix, cela veut dire aussi que seule la loi peut modifier lesdits prix. Je pense, pour ma part, que la loi doit fixer non pas le prix, mais la façon dont est calculé le prix et déterminer qui peut ou non faire évoluer les prix.

Telle est l'approche que nous avons tenté d'adopter avec Serge Papin ; elle me paraît la bonne approche, la plus bénéfique, en définitive, à nos agriculteurs.

Ce sujet est évidemment très complexe ; cela fait des mois que nous y travaillons afin de pouvoir présenter les avancées que nous avons en vue et d'aller au bout de la démarche Égalim. C'est cela l'important !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Je partage bien sûr tout ce qui a été dit et longuement dit. En dépit des différentes lois votées au fil des ans, on est obligé de constater que sans cesse le revenu des agriculteurs baisse ; ce n'est plus acceptable.

Si nous votons de nouvelles lois, quelles qu'elles soient – le rapport Papin contient un certain nombre de préconisations en ce sens –, il faut permettre que soient prises des sanctions. Lorsque vous roulez trop vite sur l'autoroute, vous avez une amende. Si vous ne respectez pas la loi concernant les critères de formation des prix, vous serez pénalisés, et la sanction s'appliquera du transformateur jusqu'au vendeur de produits. Il faut taper dans les bénéfices des uns et des autres !

Ça, c'est la loi contraignante ; je crains qu'on n'y échappe pas.

Une autre idée serait d'organiser un commerce équitable. Cela signifierait créer une filière de commerce équitable, depuis l'agriculteur jusqu'au transformateur et au vendeur, en fixant des critères très précis et en permettant au vendeur de faire l'affichage du produit concerné comme relevant d'une filière de commerce équitable.

Pour être plus efficaces, comme on sait qu'aujourd'hui la consommation de produits agricoles se fait en partie hors domicile, imposons un minimum, de 25% ou de 30% par exemple, de produits issus du commerce équitable de produits agricoles français dans la restauration collective, comme on le fait pour les produits biologiques par exemple.

Je ne suis pas pour des prix fixés d'avance, mais le moment est venu de prendre des mesures qui obligent les différents maillons de la chaîne à rémunérer la production agricole. Un pays comme le nôtre ne peut plus accepter que les produits soient payés en dessous de leur valeur quand les normes augmentent chaque jour.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, permettez-moi de saluer votre action. Nous étions ensemble voilà quelques jours en Touraine auprès de nos viticulteurs ; il était très important que nous fassions front commun auprès du monde agricole, qui a connu ces derniers jours la pire catastrophe agronomique depuis le début du XXIe siècle. Celle-ci, malheureusement, continue : les fortes baisses de température perdurent cette semaine.

La question que vous posez est très pragmatique et très intéressante du point de vue de la pensée. Il y a des filières où le commerce équitable marche. Je vous en donne un exemple : la LSDH, la laiterie de Saint-Denis-de-l'Hôtel, dans le Loiret, marche très bien ; son fonctionnement permet une juste rémunération. Il est précisément fondé sur ce que j'évoquais : contractualisation, pluriannualité, transparence. Les propositions que nous faisons, avec Serge Papin, sont appuyées sur un retour d'expérience émanant d'acteurs du terrain qui font la démonstration que ça marche ! Autant prendre ce qui marche là où ça marche pour le dupliquer ailleurs…

Deuxième remarque : dans le projet de loi Climat, nous introduisons les éléments dits de commerce équitable dans les engagements de la loi Égalim, ce qui va exactement dans le sens de votre recommandation. Cela veut dire favoriser demain ces filières dites équitables.

Le troisième volet de ma réponse relève plutôt de la pensée, mais j'en appelle au sens critique du Sénat : tout cela est quand même très français… Nous sommes en train de discuter pour savoir s'il ne faudrait pas conférer à des aliments un label « équitable », parce que les agriculteurs qui les produisent sont rémunérés à leur juste valeur. Le vrai débat consisterait à se demander comment faire pour que tous les autres aliments soient considérés comme « inéquitables » ! Cela en dit long sur le chemin qui nous reste à parcourir pour faire en sorte que rémunérer devienne la norme et que ne pas rémunérer soit taxé d'« inéquitable ». C'est cela, aussi, le sens de nos travaux.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.

M. Pierre Louault. Ce ne sont pas les produits qui sont inéquitables, c'est le commerce qui l'est.

M. Julien Denormandie, ministre. Oui, pardonnez-moi, vous avez raison !

M. Pierre Louault. Il faut que les commerçants comprennent qu'un commerce dépend d'un partenariat entre différents échelons : un producteur, un transformateur et un commerçant. Puisque les commerçants font de gros bénéfices, augmentons de 20 % les taxes prélevées sur ceux qui ne veulent pas jouer le jeu. Il faut bien en finir un jour avec le jeu du plus bête ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. J'ai tout d'abord une pensée pour les agriculteurs du Gers et de France très durement touchés par le gel ces jours derniers – mais nous en reparlerons.

Cela a été dit : en 2019, je faisais le constat, avec mes collègues corapporteurs, que la loi Égalim n'atteindrait pas ses deux objectifs, tout particulièrement celui qui avait trait à l'accroissement du revenu des producteurs agricoles.

Certaines de nos recommandations avaient été malgré tout reprises, et je peux vous dire qu'il est des filières – je pense à celle du foie gras, par exemple – qui nous en savent gré, compte tenu des effets négatifs du SRP première version pour les ventes saisonnières et festives.

Monsieur le ministre, comment concrètement envisagez-vous la définition d'indicateurs de coûts de production ? Quelle méthode ? Pour quels produits agricoles ? La loi Égalim ne concernait en effet qu'une partie des productions agricoles.

Comment le plan stratégique national de la future PAC que vous préparez avec les parties prenantes va-t-il intégrer au moins des garanties de couverture des coûts de production ? Qui va payer ? Le premier acheteur ? Les GMS ? Le consommateur final ? La PAC sera-t-elle sollicitée ? Si oui, comment ?

Comment allez-vous maîtriser dans le temps la fuite ou la reprise de valeur par les nombreux fournisseurs d'intrants ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Vous soulevez deux points, monsieur le sénateur Montaugé.

La première question que vous posez est celle du coût de production. Un indicateur de coûts de production est désormais défini par les filières, c'est-à-dire par les interprofessions. Il doit être inclus dans le contrat, mais la loi Égalim laisse la possibilité de ne pas le prendre en compte si et seulement si ce choix fait l'objet d'une explication.

C'est le premier élément qui mérite d'être modifié : il faut que cette contractualisation sur la base d'indicateurs devienne pluriannuelle, avec toute la transparence requise, afin d'éviter le jeu de dupes année après année.

Deuxième recommandation contenue dans le rapport de Serge Papin : un certain nombre d'indicateurs doit faire l'objet d'une indexation. Je prends l'exemple du prix de la matière première pour les gallinacés dans votre beau département, monsieur Montaugé ; le prix de la matière première de l'alimentation de ces gallinacés, lui, est indépendant du travail de l'agriculteur. Est-il normal que le surcoût de cette matière première soit toujours prélevé uniquement sur le compte de résultat de l'agriculteur, qui n'a d'autre choix que d'attendre, parfois de longs mois, la renégociation du contrat ?

Comment donc peut-on mettre en place des indexations permettant une meilleure répartition ? Une augmentation du coût de l'alimentation des gallinacés représente parfois un énorme manque à gagner pour l'agriculteur quand l'impact sur le produit final, donc pour le consommateur, n'est que de quelques centimes d'euros.

Vous me demandez, deuxièmement, si la PAC peut financer en partie le coût de production.

L'argent de la PAC, c'est l'argent de l'agriculture, si je puis dire ; les financements afférents portent une ambition politique relative à l'agriculture que nous voulons pour demain, et c'est de toute façon l'argent de l'agriculture. Ce n'est donc pas à la PAC de financer cette affaire ; c'est la répartition de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire qui est en cause : ce sont les industriels, la grande distribution et – il faut avoir le courage de le dire – le consommateur qui doivent financer le coût de production. La part du budget d'alimentation dans notre budget moyen a décru ces dernières années ; il faut absolument qu'elle reparte à la hausse.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.

Je me permets d'évoquer aussi le dossier en suspens des territoires comme le Gers, qui sont indûment sortis, en 2018 – vous le savez –, de la carte des zones défavorisées simples. Nous attendons les jugements du tribunal administratif de Pau, qui auront – je l'espère – un impact positif sur le revenu des éleveurs, aujourd'hui en très grande difficulté.

Je conclurai en vous disant qu'il serait utile que le ministère clarifie aussi la notion de zone intermédiaire, qui ne peut raisonnablement pas être limitée à la diagonale Charente-Grand Est. Les territoires du Sud-Ouest intégrant le piémont pyrénéen, de faible qualité agronomique et confrontés à des conditions pédoclimatiques toujours plus difficiles, répondent aux critères de définition proposés par l'étude du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux.

J'espère, monsieur le ministre, que nous pourrons en discuter directement, et je vous remercie d'avance pour votre écoute.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. En juin 2018, dans cet hémicycle, j'intervenais dans la discussion générale à propos de la loi Égalim. Après avoir fait la liste des problématiques liées à l'agribashing et aux critiques exacerbées de toute une société envers le monde agricole, je prononçais ces mots :

" Alors, avec l'arrivée d'un Président tout neuf, les agriculteurs, tellement accablés par tout cela et blessés dans leur chair, avec ce terrible sentiment d'injustice né du fait que, travaillant avec passion, ils ne récoltent que des critiques, nos agriculteurs, donc, ont cru à la bonne parole de Rungis. Même si, entre les lignes du discours, on pouvait déjà comprendre quel en serait le résultat.

" Nos agriculteurs y ont tellement cru qu'ils ont participé avec conviction aux États généraux de l'alimentation. Car, ne nous y trompons pas, ce qui caractérise les agriculteurs, c'est qu'ils croient que demain sera mieux qu'hier. Comment feraient-ils, sinon, à chaque sécheresse ou intempérie qui leur fait parfois perdre la totalité de leurs récoltes, pour recommencer avec la même passion à semer l'année d'après ?

" Dans ces mêmes États généraux dans lesquels ils ont mis tant d'espoir, non seulement celui d'une juste valorisation financière de leur travail […], mais aussi, et peut-être surtout, l'espoir d'une reconnaissance nationale de leurs efforts, tant au cours des heures passées avec leurs animaux ou dans leurs champs que dans la technicité et la passion de produire au mieux une alimentation de qualité. "

J'ajoutais à destination de votre prédécesseur, monsieur le ministre : " Que reste-t-il de cet espoir ? Un véritable gâchis, dont vous êtes responsable […] !

" Vous êtes responsable de ne pas avoir pu tenir vos troupes à l'Assemblée nationale avec 2 700 amendements et 72 heures de défouloir durant lesquelles tout y est passé : caricatures, déformations, clichés. Tout cela téléguidé par un obscurantisme digne du Moyen Âge !

" Le titre II du texte adopté par l'Assemblée nationale en est un exemple criant. Ce ne sera que des contraintes et des charges supplémentaires pour les agriculteurs !

" Vous êtes responsable d'avoir fait miroiter aux agriculteurs, dans le titre Ier, une hypothétique amélioration de leur revenu en dévoilant leurs prix de revient. Qui peut croire, dans une compétition commerciale effrénée, qu'en montrant toutes ses cartes on peut gagner la partie ? "

Deux ans après, ce que je disais en 2018 s'est vérifié.

Mme la présidente. Votre question, monsieur Duplomb !

M. Laurent Duplomb. Égalim, monsieur le ministre, c'est moins de revenus, mais plus de charges. Il faut peser pour que la loi Climat et résilience n'en rajoute pas…

Mme la présidente. Ce n'est pas une question !

M. Laurent Duplomb. … et que l'erreur du titre II de la loi Égalim ne soit pas reproduite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur Duplomb, je pense – cela ne date pas de trois ans, mais de dix ou quinze ans – que le débat politique sur l'agriculture a trop souvent abandonné la raison, la science, ce que certains qualifieraient – j'y suis fondamentalement attaché – de bon sens paysan. Remettre un peu de raison dans tout cela fait beaucoup de bien. J'y concours, et j'espère pouvoir faire bouger des lignes. Je ne dis pas cela à l'intention des parlementaires que vous êtes : je dis cela de manière générale à propos du débat politique et sociétal public.

C'est extrêmement important : n'oublions jamais que c'est grâce à nos agriculteurs, ces entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple, que nous avons réussi à tenir pendant toute la période de la pandémie de covid-19 et que nous y réussissons encore aujourd'hui.

Le combat n'est jamais terminé. Égalim a changé des choses ; l'état d'esprit, notamment, a évolué. Je vous en donne un exemple très pragmatique : toutes les consultations et tous les travaux que nous avons menés avec Serge Papin ont montré qu'aucun acteur, grande distribution, industriels, agriculteurs, ne veut abandonner Égalim. En revanche, on s'accorde pour constater qu'Égalim ne va pas assez loin. Ma responsabilité, aujourd'hui, est de dresser un constat sans concession, très factuel, de ce qui a marché et de ce qui n'a pas marché, des secteurs où l'état d'esprit a changé et de ceux où il est resté le même, et de faire bouger les lignes.

Je partage ce que vous avez dit : beaucoup de lignes doivent encore bouger ! J'en suis convaincu.

" Toujours plus de charges sans que l'on parle jamais des revenus », avez-vous déploré pour finir. Je ne peux pas être plus clair que lorsque je dis que la création de valeur environnementale ne saurait être dissociée de la création de valeur agricole. Toutes celles et tous ceux qui croient dans les transitions agroenvironnementales se retrouvent dans cette idée : plus on créera de la valeur pour le compte de résultat des agriculteurs, plus ces transitions seront rapides.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Plus de deux ans après sa promulgation, nous pouvons nous demander si la loi Égalim, par-delà l'immense espoir qu'elle a suscité, n'a pas finalement été un coup d'épée dans l'eau, tant l'insatisfaction est généralisée. Cette loi était censée redonner de la valeur aux producteurs agricoles en permettant notamment la prise en compte des indicateurs de coûts de production. Or nous voilà deux ans plus tard, et les interprofessions ne sont toujours pas en mesure de proposer les bons indicateurs.

Cette loi était également censée conduire à une restructuration des relations entre les acteurs des filières ; or la contractualisation en amont, visant à soustraire les producteurs au pouvoir de marché que peuvent exercer les acteurs de la grande distribution sur le prix d'achat, n'est pas effective. Le sera-t-elle un jour ?

Monsieur le ministre, j'aurai principalement deux interrogations.

Premièrement, alors que l'impératif d'une plus juste rémunération de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire reste intact, quelle suite allez-vous donner au rapport Papin qui vous a été remis le 25 mars dernier, notamment à la proposition visant à garantir le prix de la matière première lors de la première contractualisation en instaurant une mécanique d'indexation ? Nous le savons, le coût des matières premières représente la principale charge de certains industriels, et la clause actuelle de renégociation des prix est inopérante.

Deuxièmement, comment peut-on aider le monde agricole à se rassembler pour peser davantage dans les filières agroalimentaires, s'imposer dans les relations commerciales et obtenir des prix rémunérateurs face aux acteurs de l'aval des filières ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur Longeot, les questions que vous posez sont au coeur du rapport de Serge Papin. Encore une fois, ce rapport, c'est le Gouvernement qui l'a souhaité.

Je voudrais vraiment saluer la qualité du travail effectué par Serge Papin, qui connaît incroyablement bien le dispositif, dans ses moindres détails et dans ses moindres recoins, et qui sait précisément décoder les discours et les positions des uns et des autres. Ayant lui-même pratiqué les négociations commerciales pendant vingt-cinq ans, il sait comment procéder pour faire bouger les lignes.

Serge Papin a acquis une sorte de sagesse sénatoriale, et il a fait preuve d'une grande volonté. C'est la raison pour laquelle nous pouvons faire ces propositions aujourd'hui. Face à la qualité des efforts fournis, je ne peux que m'engager à ce que ce travail ne reste pas lettre morte.

Serge Papin, vous vous en souvenez sans doute, avait animé l'atelier 5 des EGA. Si j'ai choisi de travailler avec lui, c'est précisément pour suivre jusqu'au bout la logique engagée. Les sénateurs Duplomb et Gremillet l'ont rappelé à juste titre : nous sommes restés au milieu du gué et nous ne l'avons pas encore franchi. Pour aller de l'avant, il nous faut mettre en oeuvre les recommandations formulées dans le rapport.

Ce dernier est sur la table, et c'est à vous, parlementaires, de vous en saisir, en prenant également en compte les travaux qui ont été effectués au Sénat et à l'Assemblée nationale. Soyez assurés de ma détermination à mettre en oeuvre les recommandations de ce rapport !

Certains sujets sont plus compliqués que d'autres. Tout ne relève pas de la loi, par exemple l'origine des produits. Pour ceux qui en relèvent, seules les assemblées pourront les faire évoluer, si elles ont le courage d'apporter les modifications nécessaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Ce débat nous donne une nouvelle fois l'occasion d'attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de corriger les effets néfastes de la loi Égalim.

Alors que ce texte devait apporter une réponse législative aux attentes exprimées lors des EGA, il a déçu la quasi-totalité des acteurs qui s'étaient exprimés. Cette démarche ambitieuse de consultation a suscité beaucoup d'espoir, puis nourri la déception, faute de reprendre sans filtre les préconisations des principaux acteurs.

Aujourd'hui, comme mes collègues l'ont déjà dit à maintes reprises, hormis dans la grande distribution, tout le monde s'accorde sur un constat d'échec de la loi Égalim. Vous avez même réussi, monsieur le ministre, à mettre d'accord tous les syndicats agricoles, depuis la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) jusqu'à la Confédération paysanne.

Le constat est tout d'abord celui de l'échec de votre théorie du ruissellement qui n'a eu aucun effet pour les agriculteurs. Un seul chiffre suffit à l'illustrer : le prix d'achat aux fournisseurs a diminué de 0,4% en 2019. On est loin du beau discours de Rungis, lorsque le Président de la République promettait une loi pour « permettre aux agriculteurs de vivre du juste prix payé ", selon ses propres mots.

Un autre sujet d'inquiétude porte sur une facette de la loi qui s'appliquera au 1er janvier 2022, avec l'obligation de proposer dans la restauration collective une proportion d'au moins 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de bio. Ainsi que le souligne un collectif d'une trentaine d'associations de consommateurs ou de préservation de l'environnement, cet objectif intéressant paraît aujourd'hui hors d'atteinte, tant les collectivités sont livrées à elles-mêmes.

En effet, comment pourrait-on l'atteindre, quand les surfaces conduites en bio stagnent désespérément dans notre pays, faute d'y avoir mis les moyens ? Alors que le seuil visé a été fixé à 15% de la surface agricole utile en 2022, elles n'en représentent pour l'instant que 8,5%. Monsieur le ministre, je ne parlerai même pas des aides au maintien que vous avez supprimées depuis la loi Égalim.

Sur tous ces sujets, nous avons des propositions à faire. Il faut que l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires joue tout son rôle dans la construction des prix. Il convient aussi de mieux soutenir l'agriculture biologique et les productions de qualité, et de faciliter l'accès à la restauration collective pour nos producteurs locaux.

Pour sortir de l'impasse, il faut une nouvelle loi. C'est un fait que même Serge Papin préconise, dans le rapport qu'il vient de vous remettre. La nécessité de cette loi ne fait donc plus grand doute.

Aussi ma question sera simple : monsieur le ministre, prendrez-vous davantage en compte les propositions des acteurs du monde agricole et du Sénat, la chambre qui représente les territoires, dans l'élaboration de la deuxième loi Égalim ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. La réponse est, à l'évidence, oui, monsieur le sénateur Tissot ! Nous commençons à nous connaître, et je ne crois pas que vous puissiez me reprocher de ne pas écouter avec beaucoup d'attention les propositions des uns et des autres. S'il y a désaccord, j'engage toujours le débat pour en comprendre les causes, et je veille dans tous les cas à privilégier un esprit de coconstruction.

Encore une fois, si j'ai commandé ce rapport à Serge Papin, c'est pour éviter de reproduire l'expérience qui a été la mienne quand je suis arrivé au ministère. Je suis alors entré directement dans le rapport de force de la négociation.

Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons pesé autant que nous pouvions dans cette négociation, par le truchement de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ; les autres acteurs concernés pourront le confirmer. Si nous ne l'avions pas fait, le résultat aurait été dramatique, alors même qu'il n'est pas encore satisfaisant.

Cependant, fort de cette expérience, j'ai la responsabilité politique de ne pas laisser perdurer un système où l'engagement du Gouvernement dans le rapport de force des négociations serait le seul espoir pour les agriculteurs d'obtenir une meilleure rémunération. Il faut opérer un certain nombre de changements et, pour cela, nous devons identifier avec beaucoup de lucidité les aspects de la loi Égalim qui ont fonctionné.

En effet, cette loi a fonctionné à certains égards. Veillons donc à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain ! Elle a notamment permis de faire évoluer l'état d'esprit des acteurs du secteur, sans toutefois aller assez loin.

Monsieur le sénateur, je connais votre attachement au monde agricole. Objectivement, si des solutions de facilité existaient de manière évidente, si ce combat ne nécessitait pas de remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier, je pense – n'y voyez pas de polémique politicienne – que la précédente majorité l'aurait mené à bien. Nous avons enclenché un mouvement, grâce à la loi Égalim. Nous constatons, avec beaucoup de lucidité, que le compte n'y est pas et qu'il faut aller plus loin. C'est la démarche dans laquelle je m'inscris, et que je conduirai avec détermination et dans la concertation.

Mme la présidente. Je suis très heureuse de donner la parole à Mme Marie-Christine Chauvin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Christine Chauvin. Monsieur le ministre, le 25 mars et le 6 avril, un peu partout en France, les agriculteurs étaient dans la rue. Vous le savez comme nous, une grande partie de nos agriculteurs ne peuvent pas vivre de leur travail. Or l'ambition de la loi Égalim était qu'ils le puissent. Malheureusement, les résultats ne sont pas là.

À cet échec s'ajoutent les conséquences de la crise sanitaire, qui est venue bousculer les accords commerciaux. L'année 2021 s'ouvre donc dans des conditions très particulières. Force est de constater que la guerre des prix est revenue de façon violente.

Les agriculteurs ne doivent pas servir, une fois de plus, de variable d'ajustement. C'est le rôle de l'État de trouver une solution.

Nous vous avons souvent alerté, monsieur le ministre, et, hélas, nous avions raison ! Le ruissellement n'est pas arrivé. Où est cet argent ? Le constat est simple : pas un centime n'est arrivé dans la cour des fermes !

Il est indispensable de rendre contraignantes l'élaboration et la prise en compte des indicateurs des coûts de production. Il faut aller vite. La profession a trop attendu.

Cette rémunération plus juste devra, entre autres, encourager l'installation des jeunes agriculteurs. Les paysans ne peuvent plus, et ne doivent plus, être le maillon le plus mal servi dans la répartition de la valeur. Ils nourrissent le pays et ils en sont fiers. Nous devons et vous devez les aider !

La loi Égalim peut nourrir l'illusion d'une production haut de gamme, voire entièrement haut de gamme. Veillons à ne pas y céder, car c'est le pouvoir d'achat qui guide le choix des consommateurs. Toutes les gammes françaises ont leur place sur le marché. En ne ciblant que les « premiers de cordée », nous prenons le risque de laisser les produits importés, et qui ne garantissent pas la même sécurité alimentaire, aller aux plus démunis. L'équilibre est difficile à trouver entre création et répartition de valeur, car en plus de la question du partage, il faut aussi envisager celle de la création de valeur.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire sur ces deux tableaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la sénatrice Chauvin, la manière dont vous présentez ces deux tableaux correspond exactement à mon appréhension du problème. Comme vous l'avez répété, il faut remettre la création de valeur au centre du dispositif.

La difficulté tient d'abord à ce qu'il nous faut avoir le courage politique de le faire. Encore une fois, n'y voyez aucune polémique politicienne, mais les gouvernements dont votre sensibilité se fait l'écho ont fait le choix d'axer absolument toute leur communication sur le pouvoir d'achat et ont omis de dire l'impact que cette stratégie pouvait avoir sur les agriculteurs.

C'est un acte politique de dire que, dans notre pays, l'agriculture est fondée sur la qualité, que la qualité se rémunère et que cette rémunération impose que le consommateur paye plus cher les aliments issus de notre agriculture.

M. Laurent Duplomb. Il y a la PAC pour cela !

M. Julien Denormandie, ministre. Une fois cela posé, je considère qu'il faut surtout dissocier les politiques, comme vous le proposez. Il existe, en effet, des politiques sociales de soutien et des politiques d'accompagnement de nos agriculteurs. Par conséquent, il convient non seulement de créer de la valeur, mais aussi de répartir la valeur créée entre la grande distribution, les industriels et les agriculteurs, et cela sans aucune naïveté, car pour l'instant cette répartition se fait sur le dos des agriculteurs. Nous devons, enfin, développer une politique sociale.

Si nous voulons réussir, ces trois objectifs doivent s'inscrire dans une approche dissociée. Il est important de parvenir à exposer cette stratégie, mais elle reste compliquée à mettre en oeuvre. C'est pour cela que je me bats, et je suis certain que nous partageons la même vision sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin, pour la réplique.

Mme Marie-Christine Chauvin. Monsieur le ministre, dissocions, en effet, mais n'oublions aucun volet ! La loi Égalim doit être revue profondément et rapidement. Vous devez soutenir nos agriculteurs. Vous venez d'affirmer votre volonté de faire bouger les lignes. Plus encore que nous, les agriculteurs comptent sur vous pour le faire !

Il faut aussi défendre la ferme France dans les négociations de la PAC, protéger nos paysans de certains excès qui pourraient se glisser dans le projet de loi Climat et résilience, et mettre en place des mesures à la hauteur pour aider les sinistrés des dramatiques aléas climatiques qui ont eu lieu récemment. Je pense tout particulièrement à ceux dont les vignes et les cultures, dans le Jura et dans le reste de la France, ont subi des dégâts liés au gel. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou.

M. Serge Mérillou. Les agriculteurs, ces héros de la première ligne, garantissent notre souveraineté alimentaire. Depuis trop longtemps, ils crient leur colère, leur détresse, leur désespérance. Ils dénoncent légitimement les effets pervers d'une loi Égalim qui est un échec d'autant plus sévère qu'elle avait suscité beaucoup d'espoir. Elle n'a pas ramené de valeur ajoutée à nos agriculteurs.

Monsieur le ministre, je salue votre prise de conscience sur les nombreux dysfonctionnements de cette loi. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vous avait pourtant alerté sur son probable échec, lors d'un débat au Sénat.

L'ensemble des syndicats agricoles constatent que le relèvement du seuil de revente à perte a permis aux distributeurs de dégager plusieurs centaines de millions d'euros de chiffre d'affaires supplémentaire, alors que dans le même temps, le revenu des agriculteurs a chuté de près de 8 % entre 2019 et 2020.

Aussi, je prends acte des propositions du rapport Papin, mais seront-elles respectées dans les secteurs de la transformation et de la distribution ?

L'exigence de la transparence doit être une priorité. En effet, sans transparence, il n'y a pas de partage de valeur. Je vous invite donc à oeuvrer pour l'obligation de cette transparence sur le prix payé par le premier transformateur au producteur, à la signature du contrat.

Enfin, la proposition de créer des indicateurs anonymisés sur la création de la valeur dans la filière doit être confirmée. Nous devons éviter l'impasse dans laquelle nous mènerait un Observatoire de la formation des prix rendu tributaire de la seule volonté déclarative des uns et des autres.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire de ces propositions ? Allez-vous enfin prendre des mesures concrètes pour contraindre la grande distribution à rémunérer dignement les producteurs ? Allez-vous combattre la loi du profit à tout prix, aux côtés des agriculteurs ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur Mérillou, même si nous pouvons avoir des désaccords, je ne pense pas que vous puissiez qualifier d'« effet pervers » le résultat de la mise en oeuvre de la loi Égalim.

Les acteurs concernés ne parlent d'ailleurs pas d'« effet pervers »… Loin d'en être un, ce résultat nourrit un espoir, même si celui-ci n'est pas à la hauteur des attentes. Je reconnais cette réalité, et c'est pourquoi je me bats pour modifier un certain nombre de points.

Cependant, il faut raison garder. La loi Égalim a constitué une première étape dans la marche en avant qu'a voulu enclencher mon prédécesseur, Stéphane Travert, quand il a défendu ce texte avec vigueur. Force est de constater que cette étape nécessaire n'est pas suffisante. C'est précisément pour cette raison que le Gouvernement a décidé de confier une mission à Serge Papin.

La période incite à remettre en question la méthode de conduite des politiques publiques. En l'occurrence, on ne peut pourtant pas reprocher au Gouvernement d'avoir adopté une telle approche. Nous avons mis le sujet sur la table, alors que nos prédécesseurs ne l'avaient pas fait durant les cinq dernières années. Nous avons essayé de faire évoluer la situation. Nous avons tiré le constat que certaines de ces évolutions fonctionnaient, mais qu'il restait « un trou dans la raquette » sur de nombreux aspects.

Nous remettons donc le sujet sur la table pour trouver de nouvelles solutions et pour mener le travail à son terme. Cette méthode de politique publique est tout à fait légitime.

En revanche, je vous rejoins sur l'idée qu'il y a un besoin impérieux de trouver des mesures complémentaires pour que l'espoir suscité par la loi Égalim se concrétise par des résultats dont l'effet portera sur le prix payé dans les cours de ferme.

Voilà pourquoi je me bats, en suivant cette méthode avec beaucoup de force.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.

M. Serge Mérillou. Les agriculteurs attendent des mesures claires pour favoriser le retour de cette fameuse valeur ajoutée après laquelle, depuis des années, ils courent désespérément.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Rietmann. Monsieur le ministre, lors de l'examen du projet de loi Égalim, le Sénat n'a jamais caché sa position. Il a toujours fait part de ses inquiétudes sur ce texte qui lui semblait déséquilibré et bien loin de la grande loi agricole tant attendue par le monde paysan.

Le climat des négociations commerciales, le niveau des revenus agricoles, la volatilité des prix des matières premières, tels sont quelques-uns des problèmes les plus importants que la loi n'a pas résolus.

Cependant, pour être tout à fait honnête, le pouvait-elle, alors qu'elle ne s'attaquait qu'aux relations contractuelles entre l'agriculteur et ses acheteurs, ce qui représente moins d'un cinquième des recettes de l'agriculteur ?

Dans le rapport qu'il a présenté il y a quelques semaines, Serge Papin ne nous a pas démentis. Il partage notre diagnostic en ces termes : " Nous sommes toujours dans un rapport de force inversement proportionnel à la concentration des opérateurs. Les plus forts et les mieux organisés, c'est-à-dire la grande distribution et les grandes entreprises, sont les gagnants du système actuel. » Il va même encore plus loin en ajoutant que l'agriculture reste " le maillon faible dans ce rapport de force ". Vous avez parlé vous-même, monsieur le ministre, d'un " jeu de dupes sur le dos de l'agriculteur ".

Nous avons donc été ravis d'apprendre votre intention de modifier la loi Égalim avant le mois d'octobre prochain, en reprenant les recommandations de M. Papin sous la forme d'une proposition de loi qui serait examinée avant l'été.

M. Papin suggère une clause de révision des prix automatique pour prendre en compte les variations des cours de la matière première. Nous l'avions proposée au Sénat en 2018, en 2019 et en 2020.

M. Laurent Duplomb. C'est vrai !

M. Olivier Rietmann. Un véhicule législatif est d'ailleurs à l'Assemblée nationale dans l'attente de son inscription à l'ordre du jour. Monsieur le ministre, ne trouvez-vous pas que cela fait beaucoup de temps perdu ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, je ne sais pas s'il y a eu beaucoup de temps perdu, mais je sais qu'il y a urgence à aller plus loin et à agir. Je souhaite que l'année 2021 soit celle de l'indexation des coûts des matières agricoles.

Pourquoi ? J'ai mentionné précédemment les gallinacés dans le Gers. Parmi les volailles, prenez le cas des poules pondeuses. Je tiens à votre disposition toutes les études qui portent sur l'augmentation du coût de leur alimentation. Sous l'effet des aléas climatiques, le prix des céréales qu'on donne aux poules pondeuses est en hausse de 20%, 30% ou 40%. Des analyses ont étudié la possibilité de répartir le montant de ce coût sur toute la chaîne agroalimentaire.

Alors que le coût en termes de charges, c'est-à-dire le coût de revient pour l'agriculteur, est très significatif, le coût répercuté sur le prix d'achat pour les consommateurs ne représente que quelques centimes. Le ratio est souvent de un à cinq, voire de un à dix, entre l'augmentation du coût de revient et l'impact sur le prix affiché pour les consommateurs.

Voilà en quoi consiste la proposition de l'indexation des coûts, car il s'agit plus d'indexation que de revoyure, cette dernière existant déjà. Je pense que c'est une très bonne idée que de la recommander, comme vous le faites.

En vérité, la loi n'empêche pas l'indexation. Aujourd'hui, les grands capitaines d'industrie et de la grande distribution, que j'appelle à un réveil collectif, car il y va de la souveraineté de notre agriculture, peuvent déjà la pratiquer. Toutefois, comme ils ne le font pas suffisamment et que le réveil collectif n'est manifestement pas assez fort, nous devons nous poser la question de savoir s'il faut que la loi s'en mêle, et je crois que c'est le désir de beaucoup d'entre vous. (M. François Patriat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour la réplique.

M. Olivier Rietmann. Monsieur le ministre, si je prends l'exemple de la viande bovine, durant les vingt-quatre dernières années, le prix de vente au consommateur a augmenté de 74%. Le revenu des agriculteurs, quant à lui, a augmenté d'environ 20%, et leurs charges de 55%.

Je ne peux donc que vous encourager, monsieur le ministre, à ne pas demeurer l'amoureux transi des agriculteurs, à ne pas rester « au milieu du gué », pour reprendre votre expression, et à aller jusqu'au bout de la tâche, en proposant une loi Égalim 2. Selon moi, celle-ci doit être une loi d'exception pour le monde agricole. En effet, on ne pourra pas avoir une agriculture de qualité sans la payer au bout du compte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. le ministre acquiesce.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Bellurot.

Mme Nadine Bellurot. Je veux tout d'abord apporter mon soutien à nos agriculteurs et viticulteurs, notamment ceux des vignobles de Reuilly et Valençay, victimes d'un phénomène climatique dramatique. Nous devons être à leurs côtés dans cette nouvelle épreuve.

Monsieur le ministre, alors que vous négociez la PAC, il reste encore à traiter le sujet essentiel de la concurrence déloyale en Europe et dans le monde entier.

La loi Égalim, dans son article 44, interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit, en vue de la consommation humaine ou animale, des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques.

Cette disposition vertueuse est très importante, car elle contribue à revenir sur la concurrence déloyale de certaines productions étrangères qui, bien que commercialisées en France, ne respectent pas les normes françaises et européennes imposées aux agriculteurs, à la fois en termes de traitements et de modes de production.

Malheureusement, depuis trois ans, nous continuons à importer en France des produits interdits, alors que nous ne cessons d'imposer aux agriculteurs contrainte sur contrainte. On exige, par exemple, des semences certifiées pour la lentille du Berry, alors que l'on importe des lentilles du Canada qui ont été traitées au glyphosate pour accélérer leur maturation. (M. Laurent Duplomb opine.) Cet exemple pourrait se décliner dans la plupart des productions agricoles.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous renforcer les contrôles prévus par la loi ? Il y va, en effet, de la santé de nos concitoyens. Or il semble que vous manquiez de moyens pour lutter contre ce type de situation.

Au-delà de cette question, comment assurer une égalité de traitement entre les agriculteurs ? En effet, imposer toujours plus d'obligations à nos agriculteurs français, alors que le monde entier fait autrement, c'est mettre en péril notre agriculture et notre autonomie alimentaire, à laquelle nous sommes tous attachés.

Il faut donc des règles identiques et une meilleure traçabilité, sans dérogation possible. Essayons au moins d'appliquer ces principes en Europe ! La crise actuelle est peut-être une opportunité à saisir, car elle a sensibilisé le monde entier à la sécurité sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la sénatrice, le sujet que vous évoquez est, à mes yeux, peut-être encore plus important que celui de la loi Égalim. En effet, depuis très longtemps, il règne une forme d'hypocrisie qui consiste à dire qu'il faut avancer dans la transition écologique, alors que l'on retrouve sur les étals des supermarchés des carottes ou des concombres qui ne sont ni soumis aux mêmes normes de production ni vendus au même prix.

Ces produits se retrouvent mis en concurrence, parce que nous sommes dans un marché commun. Or rien ne ressemble plus à un concombre qu'un autre concombre, ou bien à une carotte qu'une autre carotte, de sorte que la situation peut dans certains cas paraître totalement désespérante.

La question que vous posez est donc cruciale. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler à de multiples reprises, notamment avec la présidente Primas, à l'occasion de l'examen du fameux article 44 de la loi Égalim, puis lors de celui du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire, dans lequel nous avons ajouté des dispositions pour tenter d'améliorer cet article 44.

En réalité, le débat doit se tenir au niveau européen et inclure le sujet des clauses miroirs. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je tiens à ce que la présidence française de l'Union européenne, à partir du 1er janvier 2022, soit un moment politique fort où nous pourrons avancer au maximum sur ces clauses.

À cet égard, même si elle est passée inaperçue, nous avons déjà obtenu une première victoire dans le cadre du trilogue. Le sujet a en effet été abordé et une première étape en ce sens a été demandée à la Commission européenne, ce qui nous permettra d'autant plus facilement d'en faire la priorité politique de la présidence française.

De plus, dans le cadre de la réforme de la PAC, les ministres de l'agriculture de l'Union européenne se sont mis d'accord sur les fameux écorégimes, avec la volonté de définir un socle commun que tous les États membres auront l'obligation de respecter, pour lutter contre la concurrence déloyale au sein de l'Europe. Il faudra absolument que ce socle commun soit pris en compte non seulement dans l'agriculture, mais aussi dans le cadre des politiques commerciales. Dès lors que les ministres de l'agriculture de l'Union l'auront validé, ceux qui sont chargés du commerce devront aussi s'en saisir.

Mme la présidente. Il faut conclure.

M. Julien Denormandie, ministre. Ce combat prendra du temps, mais il faut le mener avec force.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Monsieur le ministre, votre tentative de payer au juste prix les producteurs reste un échec. Pourquoi cela, alors que vous savez imposer aux agriculteurs des réglementations qui amputent la productivité de leurs exploitations déjà en berne, qu'il s'agisse de l'élevage des volailles ou des zones de non-traitement ?

Aujourd'hui, il subsiste des intérêts contradictoires. D'un côté, la grande distribution veut privilégier le pouvoir d'achat des clients et exige une qualité irréprochable. De l'autre, les transformateurs sont touchés par des hausses de matières premières qu'ils veulent répercuter.

Le résultat de ces contradictions a été résumé en ces termes, le 28 octobre dernier, en conseil des ministres : « Il subsiste une déflation et la répartition de la valeur est jugée insuffisante pour les agriculteurs. » En effet, comme le souligne Guillaume Clop, président des jeunes agriculteurs de la Somme, " il n'y a pas eu de gendarme pour faire appliquer la loi Égalim ".

Vous avez précisé vouloir renforcer la compétitivité et la création de valeur dans les filières, la transition agroécologique et la souveraineté alimentaire, en mobilisant le plan de relance.

Or renforcer la compétitivité et créer de la valeur nécessitent des investissements et une visibilité sur la politique agricole, au-delà des deux ans du plan de relance, qu'il s'agisse du soutien des cours, des instruments appropriés pour la gestion des risques et aléas, des contrats de livraison à long terme, de la logique et de la pérennité des soutiens à la diversification, comme la méthanisation, ou encore de l'étude d'impact quantitative et financière des mesures réglementaires.

Il convient, certes, de renforcer la souveraineté grâce au plan protéines végétales. Cependant, il faut aussi un plan élevage et vous devrez préciser l'ambition exportatrice que vous défendez.

Renforcer la transition agroécologique nécessitera de valoriser financièrement les efforts consentis pour cette transformation recentrée sur les cycles biologiques et les pratiques agroécologiques.

Monsieur le ministre, comment envisagez-vous, dans le prolongement des propositions du rapport Papin, de valoriser les mutations et les paiements pour service à l'environnement, au-delà de la seule PAC ? Comment garantirez-vous la sécurité alimentaire et les cours des matières premières ? Comment ferez-vous pour défendre nos agriculteurs dans ce débat déséquilibré ?

Ne pourriez-vous pas enrichir la loi Égalim en créant un fonds de stabilisation des revenus ? Il faudrait que toutes les parties s'engagent, depuis les producteurs jusqu'à la distribution, via la responsabilité sociale des entreprises (RSE), pour amortir les à-coups des marchés et contribuer à une agriculture durable. Nous pourrions ainsi atteindre les trois objectifs fixés dans la loi initiale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, la question que vous posez est complexe. Pour y répondre, il me faudrait quasiment faire une déclaration de politique générale agricole.

La création de valeur passe aussi par la diversification des revenus, qui dépend elle-même beaucoup des territoires. On sait, en effet, qu'elle est plus impérieuse dans certains territoires que dans d'autres. Elle est également très influencée par un certain nombre de marchés qui sont internationalisés.

À cet égard, la constitution du prix du lait est intéressante. Elle repose pour moitié sur le marché national de la consommation locale, et pour l'autre sur les indicateurs de marché à l'international, notamment ceux qu'on appelle les « indicateurs de la poudre de lait ». Le processus est donc très compliqué.

Le fonds de stabilisation que vous appelez de vos voeux s'inscrit dans le contexte et les débats actuels. Or, parmi tous les chantiers qu'il nous reste à mener, un sujet incroyablement complexe se détache, celui du renforcement ou de l'assurance des revenus en cas de catastrophe naturelle.

Je disais encore ce matin, en répondant aux questions de certains de vos collègues, combien le gel pouvait être un désastre, d'autant plus qu'il est invisible. Si à la place du récent épisode de gel il y avait eu un incendie, nous verrions tourner en boucle les images de centaines de milliers d'hectares en train de brûler. En effet, telle est la réalité, avec pour différence qu'une récolte perdue représente un an de travail, alors que les conséquences d'un incendie portent sur plusieurs années.

Par conséquent, j'ai déjà ouvert le dossier sur la stabilisation des prix grâce à l'assurance récolte, et je compte bien pouvoir aussi le clore, en trouvant des solutions. Nous pourrons en parler dans le détail. Le sujet est très compliqué, mais d'une actualité brûlante.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Genet. Beaucoup de choses ont déjà été dites, mais je tiens à porter à cet instant la voix du Charolais, berceau d'une race à viande aujourd'hui reconnue tant pour sa qualité exceptionnelle que pour son modèle herbager, qui façonne un paysage bocager en voie de figurer au patrimoine mondial de l'Unesco.

Nous craignons cependant de classer à ce patrimoine mondial un souvenir plus qu'une réalité, car il y a véritablement non-assistance à élevage en grand danger de disparition.

Pourquoi parler de disparition ? Tout d'abord, en Saône-et-Loire, nous avons perdu 100 000 bovins sur 670 000 ces dix dernières années. Ensuite, 1 400 départs à la retraite d'agriculteurs sont prévus dans les cinq ans à venir, alors que nous peinons à installer 90 jeunes chaque année. Enfin, trois ans après le lancement des EGA et la loi Égalim, les éleveurs ont perdu 30 % de leurs revenus : ils se contentent désormais de moins de 700 euros par mois.

Monsieur le ministre, comment imaginer l'avenir d'un secteur dans lequel on paie 3,59 euros le kilo de viande de jeune bovin aux producteurs, alors que le coût de production s'élève à 4,76 euros ? Comment peut-on encore parler d'installation de jeunes agriculteurs ? Comment convaincre les banques de les accompagner ?

Comment convaincre nos éleveurs de continuer leur dur labeur si un animal nourri à l'herbe dans une exploitation familiale répondant à tous les critères du développement durable, dont la France se veut la championne, n'a pas plus de valeur qu'un animal " poussé " en élevage industriel à grands coups d'antibiotiques pour l'international ?

Les chiffres sont malheureusement d'une cruelle évidence : en 2020, le prix payé par le consommateur a augmenté ; dans le même temps, le prix payé aux producteurs continue de baisser et ne permet pas de couvrir les coûts de production. Quant à l'indicateur de marge brute des grandes et moyennes surfaces, il n'a jamais été aussi haut !

Monsieur le ministre, quels moyens pragmatiques, concrets et contraignants comptez-vous utiliser, et selon quel calendrier précis, pour que le prix payé aux éleveurs garantisse au minimum la couverture de leurs coûts de production ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur Genet, le problème que vous soulevez est celui de l'élevage allaitant, en particulier celui des jeunes bovins et des broutards.

Je n'ai pas à vous le démontrer : je m'engage sur ce que je sais pouvoir faire et je ne fais pas de promesses que je ne saurai tenir. En tout cas, je m'efforce de viser des objectifs très clairs.

La réalité est que les consommateurs français ne mangent que très peu de viande de boeuf et beaucoup de viande de vache. C'est pourquoi une grande partie de la production de jeunes bovins, à peu près la moitié, part à l'export. La filière est structurée de telle sorte que 90 % des broutards, voire plus, sont exportés. Très concrètement, pour ce qui concerne le revenu tiré des broutards, la loi Égalim ne changera rien.

Voilà quelques semaines, j'ai appelé les collectivités locales à servir de la viande de jeune bovin dans les cantines, non parce que j'ai des actions dans le secteur ou une volonté effrénée d'en faire manger à nos enfants, mais parce que je crois profondément que cette viande leur est particulièrement bénéfique. Si l'on veut apprendre à nos enfants à consommer de la viande de jeune bovin, quoi de mieux que de passer par les cantines ?

Il faut inventer d'autres débouchés, c'est très important. En revanche, il ne faut pas raconter de carabistouilles : ce n'est pas la loi Égalim qui permettra d'augmenter le prix du broutard. Ce n'est pas vrai !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le ministre !

M. Julien Denormandie, ministre. Pour encourager la consommation de viande de jeune bovin, il faut s'appuyer sur la loi Égalim. Pour les autres viandes, l'enjeu est de créer de la valeur au niveau des filières et d'accroître les débouchés. C'est dans cette direction qu'il faut s'engager avec la plus grande force.


Source http://www.senat.fr, le 21 avril 2021