Déclaration de politique générale de M. Maurice Couve de Murville, Premier ministre, sur le climat politique issu des élections législatives des 23 et 30 juin 1968, la politique économique et budgétaire, les réformes de l'université et du Sénat et l'exercice du droit syndical dans les entreprises, à l'Assemblée nationale le 17 juillet 1968.

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Circonstance : Déclaration de politique générale de M. Maurice Couve de Murville, Premier ministre, à l'Assemblée nationale le 17 juillet 1968

Texte intégral

Mesdames, messieurs, jamais, dans l'histoire de la République, le peuple français n'a à l'occasion d'une élection générale, marqué sa volonté d'une manière aussi éclatante et aussi décisive qu'il l'a fait les 23 et 30 juin dernier. Rarement, en temps de paix, notre pays s'est trouvé confronté, pour l'immédiat et pour le proche avenir, à autant de problèmes majeurs, dont la solution pèsera d'un poids aussi lourd sur son destin.

C'est sous le signe de ces deux faits évidents que le Président de la République a constitué le Gouvernement, dont il m'a fait le lourd honneur d'être le Premier ministre. Sous le même signe, l'Assemblée nationale se réunit pour entendre la déclaration que je vais avoir l'honneur de faire au nom de ce Gouvernement.

Ai-je besoin de dire qu'au moment où je prends ainsi la parole devant vous, ma première pensée se porte vers mon prédécesseur que je salue sur ces bans avec toute l'estime, l'amitié et, s'il le permet, l'affection que je lui porte depuis le jour lointain où nous avons commencé à collaborer et qui n'ont fait que grandir qu cours des années, surtout depuis ces mois de mai et de juin où l'épreuve a permis, comme toujours, de prendre la mesure de la véritable qualité humaine. Que Georges Pompidou sache bien que nous aurons besoin de ses conseils, de son jugement et de son autorité, en attendant que la destinée le charge à nouveau de ces responsabilités politiques qu'il est plus que tout autre, capable d'assumer.

À l'Assemblée nationale, je dirai maintenant que ce premier débat marque – c'est en tout cas mon espoir – le début d'une collaboration entre elle-même et le Gouvernement, qui me paraît être la condition nécessaire de tout travail utile pour l'une comme pour l'autre. Je le dis au moins pour ceux d'entre vous qui appartiennent – et ils me paraissent ici nombreux – aux groupes de la majorité. Mais je le dis aussi pour d'autres qui voudraient ne pas s'en tenir au réflexe de l'opposition systématique. Dans les conditions où se trouve notre pays, il est souhaitable que le plus grand nombre s'associe à l'œuvre nationale de redressement et de réformes qui s'impose.

Il va de soi, et j'aborde maintenant les questions de fond, que de toutes façons, et plus encore compte tenu de l'expérience que nous venons de vivre, une telle œuvre ne peut se concevoir, à plus forte raison être entreprise et menée à bien, que dans un climat politique et social où l'ordre public et la sécurité des citoyens soient pleinement et constamment assurés. Là est le devoir élémentaire de tout gouvernement et j'affirme que c'est notre premier souci. Telle est d'ailleurs la volonté clairement exprimée dans son vote par l'immense majorité du peuple français. Il ne s'agit pas, comme on l'a prétendu, d'un réflexe de peur, mais d'une manifestation du bon sens populaire. Le Gouvernement en est parfaitement conscient et est résolu à en tirer les conséquences.

Cela étant dit, simplement mais sans équivoque, notre action pour l'essentiel s'inscrit naturellement dans deux chapitres : la politique économique et financière d'une part, les grandes réformes d'autre part.

L'économie et les finances, dont je parlerai en premier lieu, sont pour le moment, d'une manière quasi totale, dominées par les conséquences de la crise, autrement dit par les graves pertes de production résultant d'une grève générale prolongée, et surtout par la brusque et considérable augmentation de toutes les rémunérations, donc des coûts de production dans leur ensemble et des charges budgétaires. Je constate d'emblée que ces phénomènes, en quelque sorte accidentels, n'altèrent en rien dans la profondeur les structures de notre économie. Il s'agit, comme l'on dit souvent, de digérer, avec le minimum de troubles, les conséquences, d'une telle discontinuité, autrement dit de rétablir, aussi rapidement que possible, l'équilibre qui a été rompu et de mettre à nouveau la France à égalité dans la compétition internationale. C'est à dix-huit mois que l'on peut, me semble-t-il, évaluer le temps nécessaire, et c'est sur cette période, soit entre maintenant et la fin de 1969, que sera conçue notre action, donc notre politique. 
Je dis immédiatement qu'un tel programme, au départ, doit exclure résolument les moyens de la facilité, qui sont la tentation immédiate, cette facilité qui crée des illusions et conduit très vite au désastre. Affirmant cela, j'ai dans l'esprit en particulier le souvenir de 1936, où, parti de conquêtes sociales étonnantes, l'on a abouti en deux ans, après quatre dévaluations successives, à remettre en cause une grande part de ces conquêtes.

Ne perdons pas de vue non plus qu'aujourd'hui il n'est nul besoin d'utiliser un découvert budgétaire pour relancer la consommation. La hausse des salaires y pourvoit suffisamment. Quant aux problèmes monétaires, il faut comprendre que, de nos jours, ils ne peuvent être considérés que dans un contexte international. Cela est vrai à cause du Marché commun. Cela est vrai aussi compte tenu du rôle que jouent encore les monnaies dites de réserve, dollar et livre sterling.

Sous le bénéfice de ces observations, il est une politique imaginable pour la France dans la conjoncture présente, c'est celle du dynamisme et de l'expansion. J'entends une expansion très fortement accrue par rapport à ce qui avait été prévu et qui se reflétait notamment dans le Ve plan. Les chiffres devront naturellement être précisés lorsque pourra être revu ce Plan pour ses deux dernières années, 1969 et 1970.

Une condition de cette expansion était naturellement de maintenir notre pays dans la concurrence internationale, à laquelle il participe pleinement dans la Communauté économique européenne. C'est pourquoi il était capital de respecter, comme nous l'avons fait, les échéances tarifaires du 1er juillet dernier, de ne rien faire, en d'autres termes, qui pût faire revivre les vieux démons du malthusianisme et du protectionnisme, autre forme de cette facilité que je dénonçais à l'instant.

Le pays paraît l'avoir bien compris, puisque nul n'a contesté, ou osé contester, la décision. Sans doute comprend-il aussi que les extrêmes entre lesquels nous allons avoir, pendant longtemps, à naviguer, autrement dit les deux périls majeurs contre lesquels il nous faut lutter, soit d'une part l'inflation, d'autre part le sous-emploi, pour ne pas dire le chômage.

L'inflation réduirait vite à néant les avantages consentis aux travailleurs et tout serait à reprendre, dans le climat social que l'on imagine.

Ceci signifie d'abord que, si une politique de crédit dynamique s'impose en faveur des activités productrices, l'État ne doit pas recourir à la création monétaire pour financer ses propres charges. C'est pourquoi il lui faut, pour 1969, revoir strictement ses dépenses et, dès maintenant, accroître ses ressources, en se gardant toutefois de peser sur les prix et sur les coûts de production. Nul ne peut penser que nous allons, au cours des dix-huit mois dont j'ai parlé, rétablir l'équilibre budgétaire. Ce dont il s'agit, c'est de limiter le découvert aux montants qui peuvent être financés par le marché. 
L'autre figure de l'inflation, c'est, bien entendu, la hausse des prix. Il n'est pas question de revenir à un blocage qui ne ferait que mettre nombre d'entreprises, et d'abord les plus modestes, dans l'impossibilité de travailler. Mais il faut limiter les hausses inévitables à ce qui est vraiment nécessaire et justifié. La concurrence nationale jouera à cet effet un rôle capital. L'État doit, d'autre part, exercer un strict contrôle : c'est ce qu'il a commencé d'entreprendre, et je puis donner l'assurance que son action continuera à s'exercer sans relâche et sans défaillance.

Le sous-emploi est l'autre danger, d'autant que la situation antérieure n'était déjà pas satisfaisante : elle a pesé sans doute de son poids dans la crise sociale de mai. Il va de soi que la formation des cadres et des travailleurs joue à cet égard un rôle important : beaucoup est à faire encore et le sera. Mais l'essentiel est le rythme de la production, autrement dit la mesure de l'expansion. Celle-ci est définie par la pleine utilisation des moyens existants et la création de nouveaux moyens permettant d'accroître l'emploi.

La pleine utilisation des moyens existants découlera de la consommation accrue que l'on peut attendre à partir de l'automne, dès lors que la hausse des salaires ne serait pas absorbée après une montée abusive des prix.

La création d'emplois nouveaux suppose des investissements accélérés, que l'État a aujourd'hui le devoir de provoquer. Un projet de loi est en préparation, qui préconisera à cet effet des mesures très amples par la voie fiscale, et par d'autres voies. J'y attache pour ma part une importance exceptionnelle car c'est des résultats que l'on peut attendre que dépendra pour une grande part le rétablissement dans les dix-huit mois dont j'ai parlé. Le projet sera présenté à l'automne, si possible à une session extraordinaire du Parlement que je voudrais demander dans la mesure où les élections sénatoriales le permettront ; il faut en effet que les mesures soient applicables rétroactivement dès le 1er septembre, et ce, pour les commandes livrées à partir de cette date. 
Je ne doute pas que l'Assemblée nationale réserve à de telles mesures un accueil favorable. J'ajoute que, si, alors, compte tenu de la conjoncture, d'autres décisions apparaissaient nécessaires, le Gouvernement n'hésiterait pas à les proposer en même temps.

Dès maintenant, le second "collectif" de l'exercice en cours va vous être soumis. Essentiellement, il enregistre les conséquences financières de la crise, et vous savez qu'elles sont lourdes. Il amorce, par ailleurs, un effort de redressement dans l'esprit que j'ai défini tout à l'heure. Qui peut douter qu'aujourd'hui et demain des sacrifices s'imposeront à tous pour rétablir une situation que l'épreuve a gravement compromise ? 
Ensuite viendront le budget et la loi de finances pour 1969. Je n'en traiterai pas aujourd'hui car le projet antérieurement établi a dû être entièrement repris. Mais il est clair que c'est alors que devront intervenir les grandes options qui commanderont notre politique financière et, à travers elle, largement, notre politique économique. 
Dans cet ensemble, le Gouvernement sait bien que des problèmes particuliers se posent, à notre agriculture. Celle-ci est restée très largement à l'écart des grands bouleversements qui sont intervenus, mais elle en subit, bien entendu, les conséquences. Le "collectif" en a tenu compte et prévoit des crédits nouveaux considérables tant pour le soutien des marchés agricoles qu'au titre des mesures, notamment sociales, décidées par le gouvernement précédent.

Cette action sera poursuivie et amplifiée pour faciliter les grandes mutations en cours, poursuivre la rénovation des zones défavorisées et assurer aux agriculteurs le niveau de vie auquel ils peuvent prétendre.

J'ai tenu, mesdames, messieurs, à parler d'abord de la politique économique et financière, car, au même titre que le maintien de l'ordre, elle commande tout, et d'abord les grandes réformes que le pays attend. Aucune de celles-ci ne serait réalisable dans un climat où les finances publiques iraient à l'abandon et où, dans les villes comme dans les campagnes, la vie de chacun ne serait pas assurée. Ceci acquis, et je ne doute pas qu'il puisse l'être, rien ne sera encore réglé si les conséquences totales ne sont pas tirées de la crise que nous avons vécue et qui, en réalité, a fait éclater au grand jour le besoin des grandes transformations – pour ne pas dire des révolutions – qui s'imposent pour adapter la France au monde moderne.

La révolution était déjà en cours dans notre économie. Industrie, agriculture, commerce soumis aux impératifs de la concurrence internationale, ont, depuis quelques années, non sans douleur parfois, mais avec un succès qui s'affirme, entrepris le processus de la modernisation. Il faut – avec, si besoin est, les aménagements indispensables – le poursuivre jusqu'au bout.

Dans d'autres domaines, en revanche, rien n'est réglé encore, si l'essentiel ne reste pas à faire. Tel est le cas de notre éducation nationale, tel est celui de notre organisation politique et administrative, notamment pour les rapports entre le centre et la province, tel est celui enfin des rapports sociaux à l'intérieur des entreprises. Voilà la tâche qui nous attend et pour la réalisation de laquelle une grande règle s'impose partout, que définit le terme de participation, autrement dit le concours de tous les intéressés.

S'agissant de réformes, c'est à l'Université que nous pensons fatalement d'abord. Elle a été secouée par une tempête qui révèle la profondeur de la crise actuelle de la jeunesse. À travers des excès injustifiables et inacceptables, dont le renouvellement ne peut être toléré, il est apparu une désorientation totale qui, comme l'a dit André Malraux, est la marque d'une crise de civilisation. Refus ou réaction contre une civilisation de consommation dominée par la technique et qui n'offre pas d'espérance à des jeunes, dont certains refusent un passé qui est le nôtre et qu'ils ne veulent plus connaître. C'est un drame en profondeur que seul le temps pourra dominer, mais dont nous devons être conscients et tirer dès à présent les conséquences là où l'État a directement un rôle et des devoirs ; je veux dire, bien entendu, pour ce qui est de l'enseignement.

Le Gouvernement vous propose d'organiser dès la présente session un vaste débat sur ce thème capital, qui vous permettra d'entendre une déclaration de M. le ministre de l'éducation nationale et qui permettra au Gouvernement de connaître vos vues et vos suggestions. Je me bornerai donc pour le moment à de premières indications, notamment pour l'immédiat. Ce dont il s'agit de ce point de vue est, d'une part, d'organiser la rentrée, d'autre part, de préparer les réformes.

La rentrée, d'abord pour les écoles du premier degré, puis pour les établissements d'enseignement secondaire. Celle de l'enseignement supérieur posera, bien entendu, de tout autres problèmes. Elle sera nécessairement précédée par les examens, dont beaucoup n'ont pu être passés, et qui conditionnent la suite. Il y aura aussi à établir les conditions indispensables à une rentrée qui doit se faire dans l'ordre : ce sera l'affaire du Gouvernement, des recteurs et des doyens, avec la participation nécessaire des enseignants et des étudiants, le grand problème pour ces derniers étant bien entendu de déterminer leur représentativité.

La réforme elle-même sera une œuvre de longue haleine. D'ores et déjà une sorte de consensus général paraît se dégager sur quelques grands principes : personnalité des établissements universitaires, modification des règles traditionnelles de l'uniformité des enseignements, des programmes et des examens, transformation des méthodes pédagogiques, nécessité d'adapter les disciplines aux possibilités de débouchés dans la vie active, enfin large participation des enseignants d'une part, des étudiants d'autre part, dans tous les domaines, et aussi des représentants des intérêts économiques et sociaux.

Il appartient au Gouvernement d'établir un projet de loi définissant de tels principes et orientations, projet qui sera soumis au Parlement dès la session extraordinaire dont j'ai parlé tout à l'heure. c'est sur cette base que pourront être ensuite entrepris, à l'intérieur des établissements devenus autonomes, les travaux et les discussions – auxquels les pouvoirs publics prendront part nécessairement, car ils ont la responsabilité nationale et la responsabilité financière –, travaux et discussions qui conduiront à l'édification de l'Université nouvelle.

Un tel dispositif aurait pour résultat capital, non seulement de transformer un enseignement supérieur devenu sclérosé dans ses méthodes, dans ses programmes et même dans sa fiscalité, mais encore et surtout de créer des rapports nouveaux entre étudiants d'une part, professeurs d'autre part, pouvoirs publics enfin, en reconnaissant aux premiers la large participation qu'il faut prévoir dès lors qu'ils seront en mesure d'assumer leurs responsabilités.

Les réformes dans les autres domaines que j'ai mentionnés ne revêtent pas le même caractère dramatique. Elles sont cependant, elles aussi, essentielles.

Notre organisation politique et administrative est, comme notre Université, très largement dépassée, parce qu'elle n'associe pas suffisamment toutes les parties intéressées à la discussion de leurs problèmes et, ici encore, aux responsabilités à prendre. Cela est vrai en particulier, je l'ai déjà dit, des rapports entre le centre et la province, autrement dit de la politique régionale.

Un premier besoin est sans doute la déconcentration des pouvoirs administratifs, autrement dit la nécessité de plus larges délégations de Paris à l'autorité sur place, à commencer par le préfet. Un second besoin est une certaine décentralisation en faveur des collectivités locales.

Mais il faut voir plus haut et plus loin. Le monde moderne impose d'organiser dans l'ensemble du pays, entre la capitale et les régions, et à l'intérieur de chaque région, un vaste dialogue propre à préparer, à tous les échelons, la politique et les décisions, qu'il s'agisse du Plan et du crédit ou de l'aménagement du territoire, c'est-à-dire des travaux à entreprendre de la mise en valeur des régions et, plus généralement, de l'expansion économique.

Au centre, le général de Gaulle l'avait déjà marqué dans un discours prononcé à Lille le 20 avril 1966, le besoin apparaît – et je cite – "de réunir en une assemblée unique des représentants des collectivités locales et des activités régionales avec ceux des grands organismes d'ordre économique et social du pays, afin de délibérer des affaires de cette nature avant que l'Assemblée nationale, représentation politique tranche en votant les lois".

Une telle réforme, nécessairement une réforme constitutionnelle, s'accompagnera d'une réforme de l'organisation régionale, c'est-à-dire des Coder, qui doivent être mieux représentatives et davantage responsables.

Ainsi, de haut en bas, la participation de tous serait-elle assurée, étant entendu que, comme toujours, chacun doit être conscient de ses responsabilités et capable de les assumer. Le Gouvernement mettra sans délai à l'étude les textes nécessaires, toutes les collectivités et organisations intéressées devant y être, bien entendu, largement associées. Il sera en fin d'année en mesure de faire connaître et de présenter ses conclusions.

Les rapports sociaux constituent le dernier titre du chapitre des grandes réformes. Les événements de mai-juin ont démontré – s'il en était besoin – que la participation doit, ici encore, devenir le maître mot.

S'agissant des relations entre employeurs et employés, entre patrons et travailleurs, une évolution est nécessaire de la part de chacun. Je pense en particulier à ce qui, à l'image du Gouvernement et de l'administration, peut apparaître nécessaire, en fait de décentralisation des directions d'entreprises, et de meilleure participation des intéressés, notamment des cadres, aux décisions à préparer.

Mais l'État a aussi son rôle.

Il l'a joué à deux reprises dans le passé. En 1945, la loi a institué les comités d'entreprise. Quelque mélangés que soient les résultats pratiques de ce système et quelles que soient les responsabilités respectives à cet égard des patrons, et des syndicats, la création de ces comités a marqué le début d'une coopération. En 1967, une ordonnance a organisé la participation des travailleurs aux bénéfices des entreprises. Nous en verrons à l'expérience – et celle-ci commence à peine – les résultats. Mais le pas est décisif.

Depuis, les accords de la rue de Grenelle ont prévu qu'un projet de loi sera déposé au sujet de l'exercice du droit syndical dans les entreprises. Des réunions ont été convenues à ce sujet entre le ministre des affaires sociales et les organisations syndicales et professionnelles. Elles pourront commencer dès la fin de ce mois et le projet vous sera proposé à l'automne.

Mais une étape essentielle est encore devant nous : c'est le dialogue à organiser à l'intérieur des entreprises entre la direction et les salariés, pour tout ce qui les intéresse en commun, sur la base d'une information ouverte et complète. Il appartient à la loi d'en définir les principes. Le Gouvernement entend vous la proposer avant la fin de la présente année. Son établissement sera également entouré des consultations les plus larges. Nous voudrions à cette occasion trouver le concours à la fois des organisations syndicales et des organisations patronales.

Les unes et les autres doivent comprendre qu'au-delà des revendications traditionnelles, l'ensemble des travailleurs doit pourvoir suivre la marche de l'entreprise, donner son sentiment et être en fait associé à la prospérité des affaires. Elles doivent comprendre aussi que les intérêts ne sont pas réellement opposés et qu'au-delà de la transformation nécessaire des rapports sociaux, nul ne peut contester qu'une entreprise doit être dirigée et que cette direction est le fait de ceux qui sont responsables. De la même façon, le profit est justifié dès lors que le risque existe et que la concurrence joue. La participation des travailleurs aux résultats, qui est entrée dans la loi, ne peut que le confirmer.

Nous voudrions sur ces thèmes réaliser l'accord de tous les intéressés.

Mesdames, messieurs, l'Assemblée nationale peut constater que ma déclaration traite au fond des seuls grands problèmes qui s'imposent dans l'immédiat et dont la solution commande tout. Il en est d'autres bien entendu, beaucoup d'autres, auxquels nous aurons à faire face.

L'un est celui de l'O.R.T.F. dont la grève prolongée paraît être à son terme : il s'agit maintenant d'en tirer les conséquences par une réorganisation profonde, comportant un allégement des structures, dans le souci d'une information accrue et objective.

La politique extérieure, d'autre part, demeure par nature un élément essentiel de notre action d'ensemble. La continuité est à cet égard assurée. Dans l'immédiat, nous avons à discuter des affaires européennes, car il nous faut concilier nos obligations vis-à-vis de nos partenaires avec les sujétions qu'impose la situation du moment. Je n'aperçois, pour ma part, aucun motif de ne pas y parvenir. De toute façon, comme je l'ai remarqué à propos de l'échéance du 1er juillet, la poursuite de la construction européenne n'est pas en cause.

Au total, la tâche qui attend le nouveau Gouvernement, et aussi la nouvelle Assemblée, est immense et rude. En particulier, le nombre et l'importance des mesures à prendre et des actions à mener d'ici à la fin de l'année sont impressionnantes, qu'il s'agisse des réformes proprement dites ou de la restauration de notre économie et de nos finances. Le Gouvernement en est conscient et est décidé à faire face à ses responsabilités.

Il y parviendra d'autant mieux qu'il sera assuré d'avoir le soutien de la nation, et d'abord de votre Assemblée. Il sait que pour bénéficier de ce soutien, rien ne devra être négligé de sa part pour favoriser l'information la plus large et la plus complète, pour organiser la discussion ou, comme l'on dit, le dialogue, avec tous, bref pour mettre en œuvre lui-même cette participation qui est le besoin de l'époque.

Parallèlement, le pays devra surmonter définitivement le désarroi né de la crise. Beaucoup demeurent encore traumatisés par l'événement. Les jeunes, dont bon nombre s'étaient de bonne foi et joyeusement lancés dans l'aventure, ne peuvent pas ne pas être déconcertés car ils ont le sentiment de se trouver maintenant bien souvent dans l'impasse. La masse des Français sera longtemps marquée par le souvenir des désordres et l'horreur de l'anarchie. Les risques que des menaces et des prétentions absurdes ou odieuses ont fait courir à nos libertés ne seront pas oubliés de sitôt. Enfin beaucoup vont être obsédés par le souci quotidien de la hausse des prix ou de la perte de l'emploi.

Rien n'est plus humain que de telles réactions. Mais là n'est pas l'avenir de la France. Nous avons connu des heures difficiles. Elles sont passées depuis que, le 30 mai, le Président de la République nous a tracé la voie.

Les élections qui viennent d'avoir lieu ont ouvert un nouveau chapitre de l'histoire, alors que rien d'essentiel n'avait, en définitive, été compromis. L'œuvre à accomplir est, je l'ai dit, immense pour rétablir la situation et nous faire entrer définitivement dans le monde moderne. Mais, s'il veut consentir l'effort nécessaire, les chances de notre pays restent entières. Le Gouvernement pour sa part en a la conviction.

Source http://sites.univ-provence.fr, le 1er décembre 2010